Source: Libération

Malgré leur récurrence, les émeutes, manifestations et grèves de la faim des lycéens, fonctionnaires, chômeurs, médecins, paysans et autres, ne bouleversent ni l’opinion internationale ni les décideurs politiques. Il faut dire que depuis que la guerre civile est officiellement terminée, les demandes politiques de la rue sont systématiquement criminalisées et accusées d’être « téléguidés de l’extérieur ». Ce fut le cas de la plus importe mobilisation de l’histoire de l’Algérie indépendante, le 14 juin 2001. La marche pacifique des deux millions de personnes venues de l’ensemble du pays, majoritairement de Kabylie, pour remettre leurs doléances au gouvernement fut rapidement matée comme « une émeute de voyous ». Même scénario lors des manifestations de soutien à Gaza, organisées spontanément en Janvier 2009. La seule occasion pour les jeunes algériens d’occuper la rue sans être considérés comme une menace se trouve lors des défilés d’après-victoire de l’équipe nationale, en voie de qualification pour le mondial.
Depuis 1992, la mise du pays sous Etat d’urgence, au départ pour empêcher le Front Islamique du Salut de remporter les élections, a permis aux décideurs de se servir du prétexte d’un retour éventuel de la menace terroriste pour « maintenir l’ordre ». Sur le plan politique, l’Etat d’urgence s’est transformé en statu quo, autorisant le ministère de l’Intérieur à limiter les activités des syndicalistes, refuser la création de nouveaux partis d’opposition voire même interdire la lecture de pièces de théâtre dans les lieux publics.
Mais l’Etat n’est pas le seul responsable de la disparition des structures permettant aux algériens d’exprimer pacifiquement leur contestation politique. Les partis de l’opposition d’abord, se sont volontairement exclus de toute compétition. En novembre 2008, ils ont soutenu massivement un amendement de la Constitution qui a permis au Président de la République de briguer un troisième mandat. Les jours d’émeutes, ils sont aux abonnés absents. La corruption qui ronge les institutions du pays ensuite, ne laisse souvent d’autres choix aux algériens que de devenir des clients du régime à défaut de pouvoir être ses citoyens. Les attributions de logement, de bourses d’études voire même de crédits à la consommation sont considérés comme des échanges de faveurs. Ceux qui n’ont rien à offrir en retour n’ont alors plus que le recours à l’émeute pour réclamer leurs droits sociaux.
Il y a 21 ans, les émeutes du 5 octobre 1988 avaient favorisé la fin du système monopartiste du Front de Libération Nationale au pouvoir depuis 26 ans, et une nouvelle constitution consacrant la liberté des syndicats et celle de la presse avait été adoptée. Depuis, le régime a pris soin de se reconstruire grâce à la prééminence de ses politiques sécuritaires et rentières. Mais si l’Algérie est toujours sous Etat d’urgence, c’est aussi parce que le pouvoir peine à consolider une gouvernance de « relance » du pays, avec de nouveaux projets et de nouvelles compétences. Avec le cadre de réconciliation nationale mis en place par le président Bouteflika, dont le but est justement de tourner la page de la guerre civile, l’Algérie ne pourra s’accommoder éternellement d’un leadership dont le fonctionnement tient au contrôle exclusif de la violence et de la redistribution des ressources pétrolières.