Source: Les Echos
La crise de la dette publique en Grèce et son risque de diffusion à d'autres économies européennes telles que celles du Portugal, de l’Espagne et éventuellement de l'Italie alimentent de vives incertitudes. Celles-ci ce sont amplifiées en raison de la lenteur et de l’hésitation des institutions européennes à agir efficacement pour contrecarrer la crise des finances publiques grecques. Même si la situation est temporairement réglée et que la Grèce semble être sauvée notamment grâce a l’intervention du Fonds monétaire international, les déficits publics élevés et les niveaux excessifs de dette souveraine dans la plupart des pays européens représentent de sérieux défis qui ne sauraient être relevés qu’à long terme.
La situation mérite réflexion de la part des décideurs maghrébins. Aujourd’hui, l’Union Européenne représente 75% des exportations de la Tunisie, 90% des rapatriements des émigrés, 83% des revenus touristiques et 73% des investissements directs étrangers. La situation n’est pas très différente au Maroc où 60% des exportations sont vendues sur les marchés de l’UE. De même, 80% des revenus du tourisme et 90% des rapatriements des émigrés proviennent de l'UE. Ces chiffres démontrent que la débâcle européenne peut poser des problèmes aux operateurs Maghrébins aussi bien publics que privés.
Les prévisions de croissance économique pour les années à venir dévoilent toutes une croissance faible de l'Union européenne, ne dépassant pas 1% pour l'année en cours, avec une éventualité de s’établir en moyenne à 2% dans les cinq prochaines années. Une croissance amorphe en Europe risque d’affecter la demande européenne pour les biens et services du Maghreb. Les mêmes prévisions indiquent que la croissance économique serait deux fois plus forte aux États-Unis, alors que l’on s'attend à ce qu’elle soit au moins trois fois plus importante dans les pays émergents, comme la Chine et l’Inde qui continuent à tirer vers le haut la croissance économique mondiale.
La signature de conventions commerciales ou d’accords de libre-échange ne suffit pas à diversifier les partenaires économiques. Le Maroc a signé un accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis couvrant les produits industriels, agricoles et le commerce des services. Bien que cet accord de libre-échange soit entré en vigueur au début de l’année 2006, il n'a pas amélioré de manière concrète les relations commerciales entre les deux pays. Les États-Unis ne représentent pas plus de 4% dans les échanges commerciaux du Maroc. Le Maroc et la Tunisie ont chacun signé un accord de libre-échange avec la Turquie ainsi que l'Accord Arabe de libre échange et l'accord d'Agadir, dont l'Egypte et la Jordanie sont également signataires. En dépit de la multiplicité de ces accords, le Maroc et la Tunisie restent enfermés dans un partenariat économique excessivement dépendant vis-à-vis de l’Europe.
La diversification des partenaires commerciaux et financiers et la rupture avec une situation de dépendance excessive vis-à-vis de l'UE sont d’une importance stratégique pour le Maghreb. Le changement de la tendance actuelle requiert que les quatre piliers suivants soient au centre des préoccupations des décideurs Maghrébins.
En premier lieu, le gouvernement doit appuyer les efforts du secteur privé pour pénétrer de nouveaux marchés. En effet, le processus d’exploration et de conquête de nouveaux marchés est coûteux pour les entreprises privées. Celles-ci pourraient être tentées à se cantonner a à leurs marchés traditionnels sans chercher à s’ouvrir sur de nouveaux marchés. C'est la raison pour laquelle le soutien du gouvernement revêt un rôle essentiel et peut jouer comme un catalyseur à la diversification des marchés. Néanmoins, l'efficacité du soutien gouvernemental dépend de sa transparence, parce qu’il faut éviter que le soutien ne devienne une source de rente réservée à une minorité d’entreprises privées privilégiées.
En second lieu, l’offre de biens et services à l’exportation par les pays du Maghreb reste limitée, sa compétitivité est faible, et dans certains cas ne correspond pas aux normes et standards en qualité requis pour accéder aux marchés étrangers. Accroître la productivité du secteur privé en investissant dans la formation de la main-d’œuvre, et stimuler la recherche scientifique et l'innovation technologique sont des préalables indispensables à la diversification des marchés.
Troisièmement, il est temps d’adopter une politique de change plus flexible. L’ancrage excessif du dirham marocain et du dinar tunisien à l'euro a contribué de manière directe à perpétuer la dépendance excessive vis-à-vis de l'Europe. De plus, l'appréciation de l'euro au cours des dernières années par rapport au dollar américain et aux devises asiatiques a affecté la compétitivité des exportations du Maghreb et limité leur capacité à accéder à d’autres marchés.
Enfin, il est nécessaire de travailler sur la mise en œuvre effective des accords commerciaux arabes en éliminant toutes les barrières au commerce. En effet, la plupart des exportateurs du Maghreb évitent de se lancer sur les marchés arabes, ces-derniers souffrant d’un manque de transparence aussi bien au niveau douanier, que par rapport aux autres procédures administratives. Une situation qui ne fait que renforcer davantage le statu quo de la dépendance excessive vis-à-vis des marchés européens, en dépit des risques potentiels que cette situation représente.
La diversification des partenaires économiques est un besoin urgent. Les événements récents, tels que la débâcle de la zone euro et le déplacement progressif de la puissance financière et économique de l'Ouest vers l'Est, fournissent aux responsables politiques une occasion en or pour agir de manière stratégique.