Source: Los Angeles Times
Le coût économique de la crise en Egypte : des défLes manifestations que connait l'Egypte depuis le 25 janvier sont très probablement appelées à se poursuivre, en l'absence de toute autre solution pour sortir de l'impasse entre les autorités et les protestataires. Les répercussions politiques des troubles sont profondes et peuvent changer à jamais l’image de l'Egypte moderne. Toutefois, un tel résultat comporte un coût considérable à court terme, dans la mesure où les pronostics indiquent une baisse de la croissance économique et un accroissement des pertes d'emploi et de la pauvreté, aggravés par la montée de l’inflation et la hausse du déficit budgétaire. En cas de poursuite des manifestations de masse pendant des semaines, les dégâts risquent d’être ravageurs. Au contraire, une transition en douceur du pouvoir accompagnée de réformes appropriées pourrait rapidement compenser la détresse économique, avec des effets positifs significatifs sur l'économie égyptienne à moyen et long terme.
L’agitation sociale a perturbé la production et la fourniture de services, effrayé les touristes qui ont quitté le pays ou annulé des voyages prévus en Egypte, et forcé les investisseurs à transférer leurs portefeuilles loin du marché boursier du Caire pour les réaffecter en lieux plus sûrs. La décision du gouvernement d’arrêter les services de téléphonie mobile et les SMS, d'empêcher l'accès aux sites Internet et de fermer les chemins de fer et les routes menant au Caire ont exacerbé la situation. La plupart des magasins et des marchés ont fermé leurs portes, les quantités de pain subventionné ont baissé, alors que le lait et autres produits alimentaires de base restaient intacts sur les étagères. Le déséquilibre entre l'offre et la demande s’est traduit par une hausse des prix et a accentué la chute du pouvoir d’achat de larges segments de la population. Le prix des produits alimentaires qui comptent pour 45% du budget moyen des ménages a accusé une hausse de plus de 15%.
Le tourisme, source de deux millions d'emplois et responsable d'environ 10% de la production économique du pays a souffert des conséquences du soulèvement social. Nombre d'Egyptiens qui dépendent du secteur du tourisme aussi bien directement qu’indirectement pour leur subsistance, sont désormais en proie à la pauvreté et à la privation. La plupart des hôtels sont vides, après que les tours opérateurs internationaux ont arrêté de proposer l'Égypte comme destination touristique. Les estimations indiquent que l'Egypte perd une centaine de millions de dollars par jour dans le secteur du tourisme depuis le début du soulèvement populaire. Le secteur du tourisme est la principale source de devises étrangères en Egypte et a permis de générer plus de 10 milliards de dollars en moyenne au cours des trois dernières années. Avant le début des protestations contre le régime égyptien, on s'attendait à un tourisme de plus de 14 milliards de dollars au cours de l'année financière 2010-2011.
Sur le plan financier, le marché boursier égyptien a régressé de 21% depuis début janvier, en raison de la perte de 16% de sa valeur dans les deux jours qui ont suivi le début des manifestations massives sur la place Tahrir (« Libération ») au Caire.
La bourse est restée fermée pendant plus d'une semaine et n'a pas repris ses activités le 6 février, comme annoncé plus tôt. Les fonds étrangers représentent 22% de l'actif de la bourse égyptienne dont 7% est aux mains d’investisseurs arabes. L'incertitude mènera à une redistribution importante des flux d'investissements étrangers de l'Egypte vers d'autres marchés.
En plus de son effet négatif sur le marché boursier, les flux massifs vers l'extérieur exercent une grave pression sur la livre égyptienne, ce qui conduit à un affaiblissement des réserves de devises étrangères et à une montée du risque de l’émergence d'une crise des paiements extérieurs. De fait, la valeur de la livre égyptienne, entièrement convertible, a atteint son plus bas niveau en six ans face au dollar, dans les premiers jours des protestations, mais le gouvernement a fermé les banques et arrêté les opérations en devises étrangères.
En temps normal, la Banque centrale d'Égypte contrôle de très près les fluctuations de la livre face au dollar afin de maintenir la stabilité de la livre. Mais si la Banque centrale fait face à des retraits énormes de devises, elle risque d’échouer à maintenir la stabilité de la livre. La banque française Crédit Agricole prévoit une dévaluation de la livre jusqu'à 20% dans le court terme. Les banques qui ont fermé leurs portes pendant plusieurs jours pourraient rencontrer des problèmes de liquidité après la reprise de leur activité. Il est également probable que les déposants effectueront des retraits à grande échelle, afin d'éviter la fermeture d'autres banques. Pour éviter un tel comportement, la Banque centrale a décidé que les clients ne peuvent pas retirer plus de 50 000 livres égyptiennes et 10 000 dollars par jour.
D'autre part, les agences internationales de notation ont revu la note des crédits souverains de l'Egypte à la baisse, dans une démarche susceptible d’augmenter le coût de la dette. Le coût de garantie contre le défaut de paiement des dettes égyptiennes après le déclenchement des manifestations a grimpé à son plus haut niveau en 18 mois, avec la hausse du coût de garantie pour cinq ans à 430 points au maximum, contre 320 points avant la révolte, avant de retomber à 360 points en raison de l'absence de danger de faillite immédiat. La dette extérieure en Egypte représente 15% du produit intérieur brut (PIB), principalement en raison de la dette à long terme.
Les principaux défis économiques et déséquilibres sociaux profonds seront à relever dans les années à venir. Toutefois, la priorité à court terme est au retour à l'activité économique «naturelle» à travers une feuille de route crédible pour le processus de transition politique. Du point de vue économique, la priorité sera de rétablir la confiance. Le gouvernement responsable de la gestion du processus de transition devra envoyer des signaux forts aux investisseurs locaux et étrangers pour les aviser que l'Egypte se dirige vers un environnement d’affaires stable, transparent et concurrentiel. Une fois que la confiance sera de retour, les touristes recommenceront à affluer dans le pays et les flux des réserves de devises étrangères en direction de l’étranger s’arrêteront pour que reprenne la croissance économique.
À moyen terme, le gouvernement élu se trouvera dans la nécessité de se recentrer sur les questions sociales, à travers la lutte contre la pauvreté et les inégalités, et l’augmentation de la création d'emplois. Aujourd'hui, plus de 40% d’Egyptiens gagnent moins de deux dollars par jour et il existe une grande disparité entre riches et pauvres dans le pays.
Il est nécessaire de renforcer deux leviers principaux. L'Egypte a besoin, en premier lieu, de réformer son système fiscal, de réprimer l'évasion fiscale, d’adopter un régime fiscal progressif permettant la redistribution des biens entre les riches et les pauvres. Elle se doit, d'autre part, de revoir le système de subvention global qui absorbe plus de 8% du PIB et plus d'un tiers des dépenses publiques.
Malgré sa popularité sur le plan politique, les études disponibles montrent que les avantages du processus de subvention non ciblé profitent bien plus aux riches qu'aux pauvres. En vue d’atténuer l'impact du démantèlement du régime de subvention complète sur les pauvres, l'Egypte devra augmenter le salaire minimum au sein du gouvernement et dans le secteur privé, et mettre en place des mécanismes de sécurité appropriés. Enfin, les décideurs politiques devront canaliser les ressources financières, produit du soutien à la consommation, vers l'investissement public dans la santé, l'éducation et les politiques de l'emploi.