L'économie du Maroc et son éventuelle adhésion au Conseil de Coopération du Golfe

La candidature du Maroc à l’adhésion au Conseil de Coopération du Golfe (CCG) est surprenante, encore plus que celle de la Jordanie, en raison de son éloignement géographique et de sa situation économique et démographique différente de celle des pays du Golfe.

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Al Hayat
 on 20 mai 2011

Source: Al Hayat

Le sommet consultatif du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) a appelé, à la surprise générale, le Maroc à rejoindre le Conseil et approuvé la demande d'adhésion de la Jordanie. Il convient, dans ce contexte, de rappeler les faits suivants : 

Premièrement, le CCG a été fondé au début des années 1980 afin de réaliser l'intégration économique et sécuritaire pour les six pays du Golfe, sur la base de piliers historiques, géographiques et culturels. Le Conseil a suivi les étapes de la progression naturelle de toute intégration régionale, en passant d’une zone de libre-échange en 1983 à une union douanière en 2003, puis à un marché commun en 2008. Des consultations ont démarré au sein du Conseil depuis plusieurs années en vue d’établir une union monétaire commune similaire à la zone euro. Comment serait-il donc possible d’accorder le statut de membre à part entière au Maroc et à la Jordanie ? Il est vrai que les négociations sont en cours, mais le Conseil leur a clairement promis l'adhésion. 

Deuxièmement, le CCG a toujours fait preuve de prudence et de réserve dans le traitement de toute demande d'approfondir son intégration avec d'autres pays de la région, refusant l'adhésion du Yémen qui constitue pourtant un prolongement naturel et une profondeur stratégique pour les Etats du Golfe. De même, il s’est seulement contenté d’un cadre souple dans l'expérience de la coopération économique et sécuritaire avec la Syrie et l'Egypte après la guerre du Golfe en 1991, avec les supposés pays “6 + 2”. Or, la Jordanie, dont le Conseil se félicite de l’adhésion aujourd'hui, fait de grands efforts depuis près d’une décennie en vue de conclure un accord de libre-échange avec le CCG, mais son initiative s’est heurtée à des obstacles et n’a pu aboutir.

Troisièmement, quelles sont les conséquences de cette adhésion entre les pays producteurs de pétrole annuel dont le revenu annuel par habitant varie entre 17 000 dollars (Arabie Saoudite) et plus de 70 000 dollars (Qatar), et entre deux Etats dont le revenu par habitant ne dépasse pas 4 000 dollars? Il est vrai que l'excédent du compte courant extérieur des pays du CCG devrait doubler cette année, par rapport à l’année passée, dépassant le seuil de 300 milliards de dollars, mais la situation financière confortable pourrait changer au vu de la volatilité des prix du pétrole, de la montée constante des prix des denrées alimentaires, de l’accroissement des besoins sociaux et d’une faible diversification économique.

Il est peut-être possible de trouver une certaine logique économique dans l'adhésion de la Jordanie au CCG. Tout d’abord, un des facteurs principaux serait la proximité géographique, puisque la Jordanie partage une frontière avec l’Arabie Saoudite, l’un des plus importants pays au sein du Conseil. Le niveau d'intégration économique, étant donné que l'économie jordanienne est étroitement liée à celle des Etats du Golfe en termes d'échanges commerciaux et de transactions financières ainsi que de la mobilité du travail, confère aussi une logique à l’adhésion de la Jordanie. Enfin, le facteur démographique ne constitue pas un obstacle, puisqu’il est relativement facile d’accueillir l’adhésion de la Jordanie, avec une population qui ne dépasse pas six millions d’habitants, au sein du Conseil de coopération qui compte une population d'environ 40 millions de personnes. 

Toutefois, le Maroc connaît une situation différente à plusieurs égards. En effet, il est situé géographiquement à l'extrême ouest du monde arabe, et ses relations économiques avec les pays du Golfe sont faibles si l'on exclut les quelques investissements dans certains domaines, puisque 60% de ses exportations, 80% des revenus de son secteur touristique et 90% des versements de fonds de ses ressortissants expatriés se font avec l'Union européenne. Contrairement à la Jordanie, la population du Maroc dépasse 32 millions de personnes, ce qui en ferait, en cas d'adhésion, le plus grand des pays du CCG du point de vue démographique. En outre, le contrat social au Maroc diffère complètement de celui des pays du Golfe. Le point de divergence majeur serait surtout perceptible au niveau des recettes publiques au Maroc qui proviennent essentiellement des taxes et impôts qui représentent près d'un quart du PIB du pays, alors que les recettes pétrolières constituent la plus importante source de financement des dépenses publiques dans les États du Golfe, où les prélèvements fiscaux directs et indirects ne comptent que pour une fraction minime. 

Il est connu que le Maroc est lié à un certain nombre d'accords de libre-échange avec l'Union européenne et les États-Unis. En outre, sa situation géographique et son potentiel dans le domaine de l'agriculture et du capital humain pourraient être jugés en faveur de son intégration économique poussée avec les pays du Golfe, mais tirer profit d’autant d’atouts n’implique pas nécessairement une adhésion au CCG. 

Peut-être que le Ministère marocain des Affaires Etrangères a volontairement souligné, en réponse à une invitation à rejoindre le CCG, l’attachement du Maroc à la mise en place d’une Union du Maghreb arabe et sa disposition à entamer des consultations afin d'élaborer le cadre optimal pour la coopération avec le CCG sans aucune référence à l'adhésion. Il va sans dire d’ailleurs que les ressources des pays du CCG leur permettent de contribuer grandement au processus de transition économique et de développement en Egypte, en Tunisie, au Yémen et dans d'autres pays arabes

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