L'intégration du Maghreb à la lumière du «printemps arabe»

Le processus d'intégration économique au Maghreb arabe ne se limite pas uniquement à la réforme des politiques commerciales. Il doit aussi comprendre la réhabilitation de l'environnement de l'investissement et l'amélioration de la gouvernance économique.

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Al-Hayat
 on 27 février 2012

Source: Al-Hayat

Les quelques dernières semaines ont été caractérisées par une activité diplomatique intense entre les cinq pays du Maghreb arabe (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Libye), afin de relancer le projet d'intégration régionale et d'activer les accords commerciaux conclus dans le cadre de l'Union du Maghreb arabe. De nombreuses tentatives politiques ont été entreprises, depuis 1989, en vue de faire progresser le projet d'intégration Maghrébine. La stratégie d'intégration du Maghreb arabe, adoptée à Ras Lanuf en Libye en 1991, projetait la transition de la zone de libre-échange à une union douanière, puis au marché Maghrébin commun à l’horizon 2006. Toutefois, cette stratégie d’intégration a échoué en raison des tensions politiques entre les États membres mais aussi à des résistances internes à la libéralisation des échanges. Le dernier sommet des chefs d'Etat, organe décisionnel de l’Union du Maghreb arabe, s’est tenu en 1994.

Depuis, les pays du Maghreb se sont lancés dans la signature de multiples accords de libre-échange notamment avec l'Union européenne, les pays arabes dans le cadre de la grande zone arabe de libre-échange, et la conclusion de l'accord d'Agadir comprenant la Jordanie, l'Egypte, en plus du Maroc et de la Tunisie. Il ne fait aucun doute que le printemps arabe et les difficultés posés aux gouvernements du Maghreb par la crise économique Europe, principal partenaire des pays maghrébins, ont projeté le dossier de l’intégration régionale au premier plan.

Le commerce intra-régional au Maghreb enregistre les niveaux les plus bas au monde comparativement aux autres groupes économiques. Celui-ci reste inférieur à 3 pour cent, contre 60 pour cent au sein de l'UE, 22 pour cent pour la «Communauté économique des nations de l’Asie du Sud-est» (ASEAN) et 20 pour cent pour les pays du Marché Commun des pays d’Amérique latine (MERCOSUR). Le déficit d’intégration commerciale au sein du Maghreb flagrant, même comparé à celui des groupements économiques africains. Le commerce intra-régional atteint le taux de 30 pour cent entre les pays de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). De son côté,  la «Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest» (CEDEAO) réalise un taux de commerce intra-régional de 20 pour cent.

S’il est admis que les pays du Maghreb ont un héritage historique et culturel commun, le succès de tout projet d'intégration économique nécessite une forte volonté politique afin de surmonter les différends et un discours qui met l’accent sur les intérêts mutuels stratégiques. Ce sont là les deux piliers qui vont permettre de mobiliser les énergies afin de relever les défis économiques, sociaux et sécuritaires communs au pays maghrébins. Aujourd’hui, plus que jamais, l'intégration du Maghreb est perçue comme une réponse aux défis importants auxquels la région fait face, tant en termes de création d'emplois qu’en termes de développement territorial équilibré dans les pays du Maghreb.

Le Maghreb représente dans sa forme actuelle un ensemble de marchés étroits et segmentés. L’intégration maghrébine donne naissance à un marché régional de près de 80 millions de consommateurs. Elle permet l’exploitation des économies d’échelle et fait de la région un pôle attractif des investissements. Nul doute que les États-Unis et l'Union européenne vont chercher à renforcer davantage leurs relations économiques et stratégiques avec le Maghreb en cas d’intégration.

La création d'une zone de libre-échange entre les pays du Maghreb permettrait de quintupler le niveau des échanges bilatéraux par rapport à leur volume actuel. De fait, il y a une complémentarité entre les économies des pays du Maghreb. L'Algérie et la Libye font partie des plus grands pays producteurs de pétrole et de gaz en Afrique, tandis que le Maroc et la Tunisie possèdent des secteurs agricoles et manufacturiers diversifiés et destinés à l’exportation. Les expériences d’intégration à travers le monde montrent que l'intégration elle même renforce la complémentarité à travers un meilleur usage des avantages comparatifs de chaque pays.

Pour donner de la crédibilité aux efforts qui visent la relance de l’intégration maghrébine, les décideurs se doivent de prendre des mesures concrètes et réalistes dont la mise en œuvre engendrerait des résultats tangibles à court terme. Ils doivent aussi se focaliser sur certains secteurs qui serviraient de locomotive au projet d’intégration. 

Il va falloir tout d'abord, lever les restrictions douanières qui entravent la circulation des marchandises et réduisent le commerce et l'échange économique entre les pays du Maghreb. La réduction des droits et taxes applicables aux importations conduirait de facto à un accroissement des échanges commerciaux entre les cinq pays.

Ensuite, il faut veiller à la réouverture des routes et des chemins de fer entre l'Algérie et le Maroc et œuvrer à la réduction des coûts du transport dans les pays du Maghreb qui s’élèvent jusqu'à deux fois la moyenne des pays industrialisés et dépassent de 25 pour cent la moyenne dans les pays en développement. En outre, du fait de l’absence de lignes maritimes directes entre les pays du Maghreb, les échanges bilatéraux doivent souvent transiter par des ports européens avant d’atteindre leur destination finale.

Troisièmement, il est primordial de lever les barrières administratives et techniques qui entravent le fluidité des échanges commerciaux entre les pays du Maghreb. Certaines barrières n'ont aucun fondement juridique et sont imposées de manière arbitraire.

Quatrièmement, les décideurs politiques ont besoin également de restaurer la crédibilité du projet d’intégration, à travers la mise en œuvre de mécanismes transparents de suivi, d'évaluation et de règlement des différends commerciaux entre les entreprises du Maghreb.

Le processus d'intégration économique au Maghreb arabe ne se limite pas uniquement à la réforme des politiques commerciales. Il doit aussi comprendre la réhabilitation de l'environnement de l'investissement et l'amélioration de la gouvernance économique qui suppose l'élimination des barrières administratives et réglementaires qui pèsent sur l’activité économique et commerciale et génèrent des coûts excessifs de transaction. Enfin, l'intégration régionale doit être considérée comme un complément et non un substitut aux relations multilatérales dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce et aux accords de libre-échange avec la Turquie, l'Europe et les Etats-Unis.

Cet article a été publié en Arabe dans le quotidien Al-Hayat.

 (Traduction: Pierre-Arnaud Blanchard)

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