Résumé
Le développement inclusif de la Tunisie et sa détermination contre le terro-risme lui ont valu admiration de toutes parts. Mais cinq ans après la révolution, les difficultés internes et les troubles régionaux continuent de handicaper le pays en mettant en danger sa transition démocratique. Les Tunisiens attendent toujours que leurs doléances sociales et économiques qui ont provoqué la révolution de 2011 soient prises en compte. Pour mettre fin à la trajectoire troublante du pays, prendre en compte les défis socioéconomiques et l’aider à atteindre les objectifs de la révolution en matière de prospérité, de liberté et de dignité, la Tunisie et ses partenaires internationaux doivent adopter une nouvelle approche, à savoir un Partenariat-cadre qui conjugue des actions de réforme tunisiennes et une assistance internationale coordonnée et intensifiée.
La Transition de la Tunisie est en panne
- Assaillie par la corruption et les défis législatifs, bureaucratiques et sécuritaires, l’économie tunisienne est à la peine. Les promesses de croissance, de développement et de projets d’infrastructures ne se sont pas encore maté-rialisées. La désillusion des Tunisiens s’accroît et avec elle le risque que l’esprit de compromis qui maintient le pays hors de l’eau et le fait avancer ne se déchire.
- Un dérapage vers l’instabilité rendrait la Tunisie plus vulnérable face au
- terrorisme, ajouterait à la crise en Libye et à l’incertitude en Algérie et précipiterait des milliers de Tunisiens dans les bras de groupes extrémistes ou les pousserait à rejoindre les rangs des migrants se rendant en Europe.
- Le succès et la stabilité en Tunisie illustrerait le potentiel d’un système politique pluraliste et responsable dans le monde arabe et offrirait un début de méthode pour s’attaquer aux défis systémiques de la région.
- Les besoins de la Tunisie en financements ne sont pas énormes. En fait, de modestes niveaux d’aide concentrés sur des points stratégiques pourraient avoir un impact plus que proportionnel s’ils étaient exploités de manière efficace. À ce jour, la coordination internationale et le suivi manquent encore, ce qui rend la prise de décisions difficiles sur des réformes significatives encore plus complexes.
- Les Tunisiens doivent faire leur part du chemin. Trop d’assistance et trop de projets sont embourbés dans un fatras bureaucratique hérité de l’ancien régime. Si les Tunisiens ne sont pas en mesure de sortir de cette impasse et de redonner vie, sur le long terme, aux fonctions clé de l’État, aucun soutien international, quel qu’en soit le montant, ne changera quoi que ce soit.
Approche pragmatique pour la réussite en Tunisie
- La Tunisie et ses partenaires internationaux clés doivent mettre en place un nouveau Partenariat-cadre, sur la base d’engagements réciproques dans cinq domaines.
- Les partenaires internationaux clés de la Tunisie, avec la coopération de la Tunisie, peuvent :
Intensifier leur engagement auprès de la Tunisie et leur assistance pour réaliser les priorités urgentes. La participation internationale au Partenariat-cadre doit être robuste, tant par l’aide financière que par des concessions commerciales, et doit se traduire par des actions qui rendront l’assistance internationale plus efficace et encourageront la croissance économique.
- La Tunisie, avec un soutien international, peut :
Prendre la tête d’un mécanisme de coordination « G7+ » pour l’assistance économique afin d’encourager la transparence, la responsabilisation et le suivi. Les partenaires internationaux clés de la Tunisie doivent prendre part à cet effort, si nécessaire avec les acteurs de la société civile et du secteur privé. Un mécanisme de coordination de l’assistance peut contribuer à la mise en place et à l’avancement d’engagements réciproques prioritaires de la part de tous les intervenants.
Redynamiser la sensibilisation du public et lancer un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes sur les politiques publiques et les nouvelles lois. Les jeux politiques ont sapé la confiance des citoyens envers le processus de réforme. Pour que les efforts de réformes progressent, il faut que le gouvernement se réengage sur un processus de consultation authentique et rigoureux avec la société civile.
Faire avancer les réformes susceptibles d’être acceptées par le public et de lever les obstacles à la croissance économique, en particulier dans les communautés marginalisées. L’établissement de priorités, la rédaction, l’adoption et la mise en œuvre de ces réformes, ainsi que l’amélioration de la capacité globale du Parlement, constituent une entreprise de taille sur laquelle les acteurs tunisiens et internationaux doivent continuer de se concentrer.
Créer un mécanisme rapide de mise en œuvre des projets destinés à encourager le développement économique et social et la création d’emplois. De nouvelles procédures interministérielles de coordination, de passation de marchés et de sécurité pour les projets de développement sont nécessaires pour transformer les financements nationaux et externes en résultats concrets pour les Tunisiens, particulièrement les jeunes et les communautés marginalisées.
- Le sommet du G7 de mai 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies de septembre et la conférence sur l’investissement prévue en Tunisie à l’automne sont autant d’opportunités pour formuler ce partenariat et le mettre en action, initialement en lançant ses mécanismes autonomes de coordination et d’approbation rapide. Au fur et à mesure que les partenaires de la Tunisie feront preuve d’un engagement accru envers la transition du pays et que les responsables tunisiens effectueront des progrès sur les réformes et la réalisation de projets, une dynamique puissante pourra s’enclencher et faire que chaque étape franchie par chaque partie rende les actions des autres parties plus efficaces.
Avant-propos
Les recommandations pour pallier aux maux de la Tunisie sont connues. Elles ont fait l’objet de débats et ont été documentées par les experts, les institutions financières internationales, les organisations de développement et, plus important encore, par les Tunisiens eux-mêmes. Le présent document n’entend pas offrir un ensemble alternatif de recommandations. Il cherche plutôt à créer un cadre d’action qui offre aux Tunisiens et à leurs partenaires internationaux une meilleure chance d’appliquer ces recommandations et de s’assurer qu’elles aboutissent.
Depuis six mois, de concert avec leurs collègues de la Fondation Carnegie, les auteurs ont mené une série de consultations structurées en Tunisie auprès de hauts dirigeants, élus, partis politiques, hommes et femmes d’affaires, syndicats, organisations de la société civiles et partenaires internationaux pour tenter d’identifier les contours d’un tel cadre. Lors de ces travaux, les questions ont été abordées avec humilité et en reconnaissance du fait que seuls les Tunisiens doivent déterminer le cap que prendra leur pays.
Forts d’un regain d’énergie et de concentration de la part des hauts dirigeants du pays et des nombreux partenaires internationaux, les Tunisiens peuvent encore réaliser les espoirs et aspirations qu’ils tentent d’atteindre avec un courage remarquable.
Introduction
L’expérience tunisienne vacille entre dangers et promesses. S’agissant du pays arabe qui a la meilleure chance de consolider sa transition pacifique de la dictature à la démocratie dans un avenir proche, le succès ou l’échec de la Tunisie aura des répercussions sur le monde arabe, comme dans la Méditerranée.
Dans ce petit pays de moins de 11 millions d’habitants1, la communauté internationale se trouve face à un défi majeur et mal évalué. Depuis la révolution de janvier 2011, le peuple tunisien a destitué un dictateur de manière pacifique, a entamé un dialogue politique complet et inclusif, a ratifié une constitution remarquablement progressive et a organisé des élections libres et équitables. Les développements démocratiques récents du pays sont en grande partie dus à la capacité des forces civiles et politiques de l’opposition à forger des compromis entre les positions établies et à respecter le processus démocratique. L’architecture démocratique de la Tunisie a été repensée et est actuellement en train d’être complétée par un ensemble de nouvelles institutions. Toutefois, les personnes qui ont déclenché cette révolution, largement pacifique, en demandant des emplois, la liberté et la dignité nationale attendent toujours des résultats concrets. En effet, cinq ans après, certains craignent que leur sort ne s’améliore pas et que la corruption et les tendances autoritaires de l’État n’émergent à nouveau.
Bien que des progrès aient été faits en matière d’installation du « hardware » démocratique du pays, le logiciel connaît encore des retards. Les espoirs engendrés par la révolution n’ont pas encore été réalisés et la vie quotidienne des Tunisiens est plus difficile. Cela laisse de la place aux discours politiques extrémistes et aux recruteurs de groupes terroristes offrant des salaires et le sentiment d’avoir un but. Les pays en transition politique font régulièrement face à des défis économiques et politiques mais la situation de la Tunisie est devenue dangereuse. Les manifestations antigouvernement à Kasserine et dans le reste du pays en janvier 2016 et les attentats terroristes de Ben Guerdane de mars 2016 sont des signes avant-coureurs dont il faut prendre note. « Chacun d’entre nous est une bombe à retardement », a expliqué un des organisateurs des manifestations de Kasserine au Financial Times.2 Même avant ces troubles, 83 % des Tunisiens pensaient, en 2015, que le pays n’était pas sur la bonne voie.3
Les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont promis d’aider la Tunisie à sécuriser la transition démocratique, des milliards de dollars en aide et prêts venus de l’étranger ont été promis encore et encore. Des sources au sein des administrations ont estimé que des prêts et des aides à hauteur de 7 milliards de dollars ont été reçus par le pays depuis la révolution de 2011 et d’autres aides sont en route. Les hauts responsables tunisiens de l’après-révolution se sont engagés envers des réformes approuvées par la communauté internationale. Toutefois, malgré ce soutien et un consensus rhétorique remarquablement solides, l’aide et les réformes n’ont pas su se matérialiser de manière visible pour le citoyen ordinaire et la Tunisie est sur la mauvaise pente sur le plan économique, avec une aggravation des tensions sociales, des troubles et de la radicalisation.
Avec des crises en série dans la région, la Tunisie a déjà souffert de négligence ordinaire. Les hauts dirigeants internationaux sont tentés de détourner leur attention de la Tunisie dont les troubles semblent moindres comparés à ceux de la Libye, de la Syrie, de l’Irak ou du Yémen. S’en détourner serait une erreur. Comme l’a récemment expliqué un haut responsable tunisien : « la démocratie ne sera pas un succès si elle ne donne pas de résultats ».4 Un autre dirigeant haut placé a mis en garde, à titre privé, contre le fait que si le monde ne s’intéresse pas à nouveau aux défis de la Tunisie aujourd’hui, quand les dirigeants du monde se réveilleront face à la crise, « nous ne serons peut-être plus là pour recevoir leur aide ». Si la Tunisie succombait à l’instabilité ou aux crises économiques, les conséquences pour la propagation de l’extrémisme, les migrations clandestines vers l’Europe et la vulnérabilité du pays face aux chocs provenant des pays limitrophes (Lybie et Algérie) se feraient sentir rapidement.
Plusieurs défis majeurs pour la Tunisie appellent à l’établissement de priorités. Ses menaces sécuritaires et ses défis socioéconomiques se renforcent mutuellement et sont exacerbés par l’instabilité de la région au sens large. Alors que les attentats terroristes hautement médiatisés de 2015 et 2016 impliquant des assaillants formés en Libye ont attiré l’attention des Tunisiens et du reste du monde, la nature et la portée des problèmes socioéconomiques de la Tunisie menaçant également la réussite du pays, sont encore plus complexes et exigent une attention accrue.
L’expérience tunisienne est en danger
Dans les premières années cruciales qui ont suivi la révolution, de profonds clivages au sein de la société tunisienne ont mené à se concentrer sur la rédaction d’une constitution et la recherche d’un modus vivendi au sein des groupes sociaux et politiques, plutôt que sur des réformes économiques ou sécuritaires audacieuses. Le climat politique contentieux, des institutions faibles et les crises sécuritaires ont été cités lors de réunions officielles et officieuses comme raisons des retards à répétition des réformes, tout comme la résurgence de la corruption et de la croissance économique en berne.
La Tunisie fait face à des défis internes et externes. Parmi les défis internes, l’injustice systémique qui a fait s’écrouler l’ancien régime continue à peser lourd sur la Tunisie. Des entretiens avec un large éventail de personnes ont confirmé qu’une grande partie de la machine de l’État (lois, bureaucratie et de police) ne fonctionne qu’avec beaucoup d’influence, de pouvoir et ressources. Sous l’ancien régime, le mécanisme complexe et lourd de l’État fonctionnait comme un verrou, la Présidence en était la clé et était capable de déverrouiller et d’orienter les projets de développement, de prendre des décisions juridiques et d’accéder aux ressources publiques. Cinq ans après la révolution, les rouages de la machine de l’État continuent à s’enclencher pour ceux qui disposent d’un certain pouvoir et de certaines relations, mais le Tunisien moyen se sent toujours aussi exclu de tout accès aux institutions, au dialogue public et aux avantages qui devraient accompagner sa citoyenneté.
Dans un pays où une bureaucratie inaccessible s’interpose à pratiquement tous les stades et dans tous les aspects de la vie économique, une grande partie de la population est profondément marginalisée et aliénée et est incapable d’avancer dans la vie ou de subvenir aux besoins de leur famille. Cette exclusion de la vie économique du pays pousse les Tunisiens à trouver des alternatives tout en attendant de trouver un travail : certains participent aux troubles et manifestations pour l’emploi, d’autres se tournent vers la radicalisation et le terrorisme, et d’autres plus nombreux se tournent vers l’économie informelle (contrebande et activités économiques sans autorisation) qui prive l’État de revenus fiscaux et épuise ses maigres réserves de légitimité. Lors d’entretiens privés en janvier 2016, des représentants officiels tunisiens estimaient que l’économie informelle dépassait désormais l’économie formelle en termes de produit intérieur brut (PIB).
À bien des égards, l’économie tunisienne s’est aggravée depuis la révolution début 2011. Le taux de chômage national était de 13 % en 2010.5 En 2015, le taux de chômage avait atteint les 15,2 %, malgré un programme d’embauche d’envergure pour le secteur public.6 Le taux de chômage chez les nouveaux diplômés de l’université est pratiquement deux fois plus élevé que celui du reste de la population active et en 2014 il était presque deux fois plus élevé qu’en 2006, à savoir le taux le plus élevé du bassin méditerranéen.7 Le taux de chômage des jeunes atteignait presque 40 % en 2012.8 Entretemps, le ministre des Finances tunisien estimait au début 2016 que la croissance du PIB de l’année précédente était tombée sous la barre de 1 %.9
La Tunisie est généralement considérée comme l’un des pays arabes les plus avancés pour ce qui est des droits des femmes. La Constitution de 2014 a fait l’objet d’éloges dans la mesure où, après une longue lutte, le principe d’égalité stricte entre les femmes et les hommes a été inscrit dans le texte. Mais une constitution progressiste peut cacher une situation inquiétante. En 2015, la Tunisie figurait au 127ème rang sur 145 pays dans le domaine de l’égalité entre les sexes, derrière les États du Golfe des Émirats arabes unis (119ème) et le Bahreïn (123ème) mais devant l’Algérie (128ème) et la Jordanie (140ème).10 Les questions relatives au genre sont désormais une préoccupation dans le pays lorsqu’il s’agit de droits politiques, de droits civils et de la famille, de droits économiques, de violence conjugale et de soins de santé (y compris la santé reproductive). Les droits des femmes sont par conséquent au centre même du processus de transition politique, économique et sociale.
Plusieurs gouvernements qui se sont succédés ont annoncé des plans conçus pour offrir espoir, opportunités et davantage de dignité par le biais du travail et d’un gouvernement actif. Ces plans incluent l’annonce de dizaines de projets d’infrastructure (tels que la réparation de routes, diverses options de transport, un accès accru aux soins de santé et l’amélioration d’installations portuaires et d’exportation) ainsi que des réformes juridiques qui rendront les échanges commerciaux plus faciles et moins onéreux. Les efforts sur ces deux fronts, les projets de développement et les réformes économiques, ont pris du retard, en partie du fait de l’environnement politique tumultueux qui a obscurci ou retardé la prise en charge des obstacles rencontrés.11
La Tunisie est actuellement gouvernée par une coalition improbable de partis laïc et islamiste ce qui reflète les résultats d’une élection démocratique et aboutit à une forme de coalition arithmétique. Mais certains disent que l’arrangement cache des différends fondamentaux entre des projets de société qui s’opposent, par exemple sur la place de la femme dans la société, ce qui, à son tour, est une source de tension latente sous couvert d’un arrangement politique apparent.
Outre ces défis internes, la Tunisie fait face à un ennemi terroriste déterminé qui opère en son sein et sur ses frontières sous forme de réseaux d’extrémistes islamiques qui voient la Tunisie à la fois comme un État ennemi et un terrain propice au recrutement.12 Le secteur touristique, essentiel au pays, a été fortement touché à la suite des attentats terroristes dévastateurs de 2015, avec une baisse de 50% de l’activité.13
La Tunisie est un petit pays situé entre deux voisins dont la superficie est bien supérieure à la sienne et ses problèmes nationaux ne peuvent être isolés des menaces externes. Les troubles en Libye figurent en haut de la liste. Les menaces des groupes terroristes inspirés par le djihadisme existaient avant la révolution tunisienne de 2011 mais un grand nombre de réseaux terroristes puissants se sont développés dans la région depuis que l’État libyen se trouve pris dans un conflit civil et que d’autres gouvernements se sont battus pour contrôler leurs territoires et les frontières, parfois en vain. La porosité des frontières tunisiennes avec les pays voisins a permis le réapprovisionnement et la fertilisation croisée de groupes terroristes. On estime qu’entre 6 000 et 7 000 Tunisiens ont rejoint les rangs des combattants étrangers dans la région,14 ce qui représente le premier contingent provenant d’un seul et même pays. Deux fois plus de personnes ont tenté de quitter le pays et ont été arrêtées, selon le ministère de l’Intérieur.15
La Tunisie ne peut compter sur la stabilité de sa frontière à l’ouest non plus. L’Algérie, hautement dépendante des recettes énergétiques pour le maintien de son État-providence, est susceptible de voir ses réserves de change autrefois fiables disparaître d’ici la fin 2017, ou même avant, compte tenu de la stagnation économique actuelle. Cela remettrait en cause les hypothèses en vigueur quant à la résistance du pays face à l’instabilité.16
Identification des obstacles au progrès
Depuis 2011, les Tunisiens ont reçu des promesses surdimensionnées de la part des étrangers comme de leurs propres dirigeants, qui ne se sont pour la plupart pas matérialisées. Nonobstant les milliards de prêts et assistance reçus par la Tunisie, la tendance à trop promettre et à donner moins a érodé la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants, ainsi qu’entre le gouvernement et les bailleurs de fonds internationaux. Si des relations plus efficaces ne sont pas rétablies entre les parties prenantes essentielles en Tunisie (le gouvernement, les forces de sécurité, les partis politiques, les syndicats, le secteur des affaires et la société civile) et entre la Tunisie et ses partenaires internationaux, une opportunité unique de promotion d’un modèle pluraliste et inclusif de gouvernance dans le monde arabe offrant des débouchés économiques et la sécurité à tous ses citoyens pourrait être gâchée.
De toutes parts, les décideurs politiques internationaux et tunisiens admettent que ce schéma de promesses et déception est dommageable. Il existe également un consensus quant aux principaux éléments qui contribuent à cette lacune entre le discours et les résultats : les contraintes inhérentes d’un gouvernement et système politique en transition et une communauté internationale distraite et surchargée par des crises en série ailleurs.
L’économie tunisienne a besoin d’être soumise à davantage de concurrence et modernisée mais les groupes d’intérêt puissants, avec à leur tête les syndicats de salariés et le patronat du pays, s’y opposent en disant que leurs membres devront s’acquitter des coûts initiaux de la libéralisation. Les bureaucrates exercent un pouvoir non contrôlé pour approuver ou ralentir les processus bureaucratiques comme ils le jugent bon. Le changement, sous la forme de législation ou de nouveaux projets de développement, se heurte à des obstacles bureaucratiques et à l’opposition de certains groupes d’intérêt et, dans certains cas, s’est quasiment arrêté. Les partenaires internationaux, dont l’influence sur ce type de questions tunisiennes internes est minime, ne savent que faire.
Comment motiver les dirigeants tunisiens et les décideurs politiques internationaux à investir davantage d’énergie dans la satisfaction de promesses longues à matérialiser cinq ans après la révolution reste un défi multiple. Il y a d’abord le défi politique : les décideurs doivent être convaincus que les risques politiques et les bénéfices justifient un investissement accru. À un niveau inférieur, l’on trouve un défi plus technique ou bureaucratique : comment de nouveaux efforts peuvent-ils réussir alors que les efforts passés ont échoué? La réponse à cette question nécessite une évaluation honnête des sources de déception, à savoir des promesses internationales non tenues et des obstacles bureaucratiques et autres au sein du pays, ainsi que l’étude d’un domaine dans lequel des progrès récents ont été recensés : le secteur de la sécurité.
La clé du progrès consiste à établir des priorités réalistes et à créer de nouveaux mécanismes conçus pour surmonter les obstacles et goulets d’étranglement qui ont freiné les progrès par le passé.17 À ce jour, l’établissement de priorités fait encore défaut. Les promesses des politiciens et des bailleurs de fonds internationaux se heurtent aux contraintes d’un parlement dont les ressources sont insuffisantes, d’une bureaucratie complexe et d’un manque de coordination chez les bailleurs de fonds internationaux.
Les limites de l’aide internationale
Les Tunisiens de tous bords politiques citent les coûts sociaux anticipés des réformes économiques libérales pour justifier un retard de mise en œuvre ou une opposition totale. Le premier syndicat tunisien reconnaît qu’une certaine dose de réforme économique est nécessaire pour stimuler la croissance sur le long terme mais soutient que le pays est beaucoup trop fragile pour absorber une période d’ajustement structurel. Les dirigeants politiques tunisiens qui se rendent dans les capitales occidentales évoquent fréquemment la nécessité d’une augmentation considérable de l’aide apportée à la Tunisie afin d’éliminer ou d’atténuer les coûts du processus de réforme. Il incombe aux interlocuteurs tunisiens d’établir des priorités de réforme, dans la mesure où un consensus forgé en dehors du pays ne serait pas acceptable sur le plan politique dans le contexte postrévolutionnaire.
Cela permet d’expliquer pourquoi le Sommet de 2011 qui s’est tenu à Deauville, en France, est désormais synonyme pour les Tunisiens de promesses non tenues et de la désillusion quant aux garanties internationales, bien qu’il ait généré un engagement à hauteur de 40 milliards USD de la part des pays de ce qui était alors le G8, des pays du Golfe et des institutions financières internationales pour soutenir les États arabes se lançant sur la voie de réformes démocratiques à la suite du soulèvement de leurs peuples.18 Le Premier ministre tunisien de l’époque (désormais président) est rentré du sommet en disant que sa demande de 25 milliards USD d’aide pour la Tunisie serait satisfaite, promesse que la communauté internationale n’a pas encore tenue.19
Outre les montants comptés deux fois et l’inflation des sommes promises, les engagements de ce qui était alors le G8 n’ont pas pris en compte la complexité du suivi en Tunisie et avec les agences d’aide internationales, alors même que les politiciens tunisiens faisaient face à des crises politiques et s’occupaient de la rédaction de la Constitution entre 2012 et 2013. Plus tard, alors que la Tunisie commençait à sortir du tumulte immédiat de la révolution avec l’adoption de sa nouvelle Constitution, le pays a été touché par une dégradation considérable de son environnement sécuritaire, ce qui a détourné l’attention initialement portée sur les obstacles que rencontraient les programmes étrangers d’aide économique et au développement.
Nonobstant la déception généralisée, les gouvernements tunisiens post-révolution ont demandé et reçu une assistance économique considérable sous forme de subventions, de prêts et de garanties de prêts. Entre 2011 et 2015, le gouvernement estime que le pays a reçu environ 7 milliards USD en aide sous diverses formes de la part des grandes institutions financières internationales, des banques de développement et de ses principaux partenaires internationaux. En 2016, la Banque mondiale a annoncé de nouveaux prêts d’un montant de 5 milliards USD qui seront octroyés sur une période de cinq ans.20 Bien que ce type d’assistance ait eu des effets positifs en Tunisie, son efficacité a été limitée par des faiblesses considérables au niveau des institutions tunisiennes et une coordination insuffisante entre les bailleurs de fonds, ainsi que par l’environnement socioéconomique et sécuritaire dans son ensemble.
Malheureusement, les bailleurs de fonds internationaux ont eu tendance à déplorer les contraintes liées à la capacité d’absorption qui limite l’effet de l’aide, au lieu de se concentrer sur un partenariat avec les dirigeants tunisiens pour s’attaquer à ces contraintes.21 En négligeant de se concentrer sur les obstacles qui freinent l’efficacité de l’assistance internationale, la Tunisie et ses partenaires internationaux peuvent être soupçonnés d’avoir mis la charrue avant les bœufs.
Une grande partie de l’assistance internationale reçue depuis la révolution est allée au soutien budgétaire, principalement pour payer les salaires des fonctionnaires et soutenir la consommation dans le pays, et non à l’investissement. Une des contributions positives de la communauté internationale a été de protéger la Tunisie contre l’insolvabilité. Mais une grande partie de l’aide au développement a été entravée par la bureaucratie et les pro-blèmes économiques et politiques au niveau local tandis que d’autres formes d’assistance, comme la formation et les réformes législatives, visent des objectifs à plus long terme. La Tunisie a désespérément besoin d’interventions créatrices d’emplois, capables d’insuffler un renouveau d’espoir chez la population. Mais davantage de soutien sera nécessaire d’abord, ou simultanément, pour prendre en charge ces obstacles liés aux capacités qui ont ralenti les résultats jusque-là.
L’administration publique : une force pour la stabilité mais un obstacle au changement
La fonction publique et la bureaucratie pléthorique de la Tunisie, considérées comme l’un des piliers de la stabilité du pays depuis son indépendance en 1956, ont été décrites dans l’environnement postrévolutionnaire comme un des principaux obstacles à la croissance et au développement économiques, portant atteinte à la capacité d’absorption de l’assistance internationale et ralentissant l’activité économique. La fonction publique emploie plus de 600.000 Tunisiens.22 De hauts fonctionnaires tunisiens ont indiqué, à titre privé, que la bureaucratie du pays pourrait fonctionner de manière plus efficiente et efficace avec des effectifs considérablement réduits. Selon une étude du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale parue en 2015, quelque 300 activités économiques représentant 75 % du PIB (telles que le transport de marchandises, l’organisation d’événements culturels ou sportifs ou la garde d’enfants) exigent une autorisation de l’État, un processus de passation de marchés ou une approbation bureaucratique.23 Des réglementations qui se chevauchent, un manque de transparence et de responsabilisation et des systèmes d’information désuets font que les autorisations sont fréquemment soumises à des retards abusifs ou fortuits. C’est dans ce contexte que l’économie informelle, qui fonctionne sans autorisation, a pu dépasser l’économie formelle pour représenter actuellement 53 % du PIB tunisien selon des estimations effectuées à titre privé par des économistes et des responsables tunisiens.
Les projets d’infrastructure connaissent actuellement trois sortes d’obstacles : coopération interministérielle inefficace, processus de passation de marchés et de paiement décrits par les représentants de l’État concernés comme étant exaspérant et dysfonctionnel, ainsi que des facteurs réels tels que la faisabilité technique, des vices de forme juridiques ou des problèmes sécuritaires. Ces trois ensembles d’obstacles sont exacerbés par un manque de personnel dûment qualifié et responsabilisé aux niveaux central et local pour les prendre en charge. Les régions défavorisées se trouvent dans des environnements particulièrement difficiles pour les projets de développement : une population réticente, l’absence d’infrastructures de transport suffisantes et un environnement d’état de droit dégradé peuvent dissuader les sociétés qui auraient souhaité répondre à des appels d’offres pour des projets de développement. Cela se traduit par de longs retards et parfois par une augmentation prohibitive des coûts pour l’État.
Entre bureaucratie et instabilité
Un responsable local dans l’intérieur explique la manière dont un projet d’infrastructure populaire a été entravé du fait d’un mauvais environnement sécuritaire et de processus de budgétisation et de passation de marchés restrictifs. En 2012, l’État a alloué 2 millions de dinars tunisiens (soit 1 million USD) pour la mise à double-circulation d’une grande route. Le premier appel d’offres n’a reçu aucune expression d’intérêt de la part de sociétés du fait, en partie, d’un taux de criminalité élevé et de l’insécurité dans le district en question. Un deuxième appel d’offres, pour un montant plus élevé, n’a reçu aucune réponse. Un troisième appel d’offres, d’une valeur de 3,5 millions de dinars tunisiens, a reçu une unique réponse mais le processus de passation de marché et de budgétisation a empêché la municipalité de conclure le contrat avec une seule société intéressée. Une fois l’autorisation bureaucratique reçue pour octroyer le contrat au seul intéressé, la société, sachant qu’elle n’avait aucune concurrence, a demandé 5 millions de dinars tunisiens. Début 2016, les travaux n’avaient toujours pas commencé.
Les diplomates étrangers en poste à Tunis et les représentants du gouvernement tunisien ont indiqué qu’un montant important de financements pour des projets de développement s’est accumulé depuis quatre ans. Le Premier ministre a annoncé publiquement en octobre 2015 qu’il avait identifié des projets d’infrastructure publique à l’arrêt à hauteur de 10 milliards de dinars tunisiens (5 milliards USD) remontant jusqu’à 2012.24 Les gouvernements et les institutions financières internationales se sont trouvés dans l’impossibilité de décaisser la majorité des fonds alloués à l’État tunisien pour des projets d’infrastructures grandement nécessaires. Selon des représentants officiels, plus de 1,8 milliard USD en assistance internationale destiné à des projets de développement (la majorité de l’assistance allouée à ces fins) sont toujours sur la table et attendent l’approbation du gouvernement tunisien et des contrats signés par ce dernier pour la construction de nouveaux systèmes d’approvisionnement en eau, routiers, ferroviaires et sanitaires. Une ambassade étrangère à Tunis qui gère l’un des principaux portefeuilles d’assistance a indiqué être en mesure de ne dépenser que 30 % des fonds alloués à la Tunisie pour les projets de développement, tout en estimant que ce taux est largement supérieur à celui de nombreux autres bailleurs de fonds internationaux.
En réaction à une semaine d’émeutes en janvier 2016, le Premier ministre, Habib Essid, a annoncé un certain nombre de mesures, y compris deux dispositions visant le nœud gordien des retards administratifs.25 Un représentant officiel du gouvernement a par la suite expliqué que ces dispositions devraient être incluses dans un nouveau code de l’investissement à paraître. En Premier lieu, les demandes d’approbation d’investissement détenue par l’administration pour une période d’un mois sans qu’une réponse n’ait été donnée seraient considérées comme approuvées. Deuxièmement, certains processus, y compris l’embauche des employés nécessaires pour les ministères, ne nécessiteraient plus la supervision du bureau du premier ministre, réduisant ainsi le goulot d’étranglement du processus. La mise en œuvre de ces décisions malgré les objections des divers groupes constituera un test de la capacité du gouvernement à améliorer l’efficience.
Une transformation sur le long terme de la bureaucratie a été lancée avec des efforts de numérisation et d’accélération des processus dans certains ministères. Le gouvernement propose le recrutement de nouveaux cadres connus sous le nom d’experts externes de « statut A » et leur intégration au sein de la direction, ainsi que le soutien des postes à divers niveaux bureaucratiques pour renouveler et diriger l’administration. Certains représentants officiels et commentateurs ont soulevé la question de l’utilisation, à terme, d’un départ en retraite anticipée pour réduire considérablement la bureaucratie. Ces étapes, de pair avec les programmes de jumelage de l’Union européenne entre les administrations tunisiennes et européennes et les nouveaux programmes de formation des fonctionnaires, peuvent grandement contribuer à l’amélioration de l’efficience mais il faudra plusieurs années avant que cela ne porte ses fruits. Entre temps, le gouvernement envisage de nouveaux processus et mécanismes de prise de décisions pour accélérer les projets et politiques à haute priorité, en se basant sur ce que le Premier ministre a annoncé en janvier.
Le processus législatif : capacités restreintes et polémique publique
De concert avec les institutions financières internationales, les économistes du gouvernement tunisien ont élaboré des mesures d’austérité et de libéralisation conçues pour renforcer et transformer l’économie tunisienne en un moteur de croissance moins lourd poussé par une concurrence accrue et de nouveaux investissements. Mais les réformes que la Tunisie a promises (dans son accord avec le Fonds monétaire international par exemple) et qui restreindraient le secteur informel et diminueraient la charge salariale du secteur public surmonteront difficilement les obstacles politiques dans le contexte actuel. Certains membres de la société civile ont mis en garde contre le fait que des tensions sociales pourraient s’accroitre du fait de tels efforts polémiques. D’autres réformes à l’ordre du jour du gouvernement exigent des législations difficiles, y compris un nouveau code de l’investissement, la réforme des douanes et un nouveau code fiscal qui déclencheraient des négociations intenses et une rude concurrence dans les coulisses. Sur l’ensemble de l’échiquier politique, les politiciens ont exprimé des doutes quant au fait que les Tunisiens souhaitent vraiment aller vers une économie basée sur la concurrence.
Des dizaines d’investissements d’importance dans le secteur privé en Tunisie ont été annoncés et par la suite retardés, alors que les réformes législatives, telles que le code de l’investissement et les éléments de la réforme du secteur financier, ne cessent de rater les échéances. Un manque de réforme et une situation sécuritaire dégradée ont eu un effet négatif sur les investisseurs tunisiens comme étrangers.
L’année 2015 a enseigné de rudes leçons sur le nouveau processus législatif de la Tunisie en révélant d’importantes lacunes, particulièrement au sein du parlement. Le nouveau Parlement reste largement sous-équipé pour jouer le rôle législatif que la Constitution exige : manque de personnel parlementaire, de bureaux et d’ordinateurs. Des ressources supplémentaires ont été allouées pour soutenir les travaux du Parlement dans la loi récente sur le budget mais les projets, tels que la sélection du personnel et le processus d’embauche, font encore défaut pour que ces fonds se transforment en systèmes de soutien efficaces qui autonomisent les législateurs. Dans le cadre actuel des choses, un parlementaire a décrit, à titre privé, la situation comme « impossible ».
Le processus démocratique tant souhaité a un coût. Les nouvelles législations sont confrontées à une période de rédaction particulièrement longue, suivie d’une approbation en Conseil des ministres et généralement d’un débat parlementaire de plusieurs mois avant le vote menant à son adoption ou à son rejet.
Au-delà des contraintes mécaniques des ressources et des processus, les législateurs tunisiens continuent à se trouver dans un environnement postrévolutionnaire sensible et instable où pratiquement tous les projets de loi qu’ils examinent entraînent une polémique considérable et un tollé public. Les représentants officiels ont décrit une population hautement méfiante. Jusqu’à présent, les efforts consistant à entamer des dialogues sociaux axés sur la réduction des tensions ne sont en grande partie pas parvenus à décoller. L’implication de la jeunesse, par le biais des canaux officiels, représente un défi.26 Ce n’est qu’en écoutant les Tunisiens que les responsables du gouvernement et les élus seront en mesure d’identifier et trouver des priorités entre les réformes qui pourront rapidement produire des gains économiques pour le pays et éviter la multiplication des crises politiques.
La corruption très répandue dans les administrations tunisiennes (les petits pots-de-vin, le népotisme à l’embauche, ou les services rendus) et un manque continu de responsabilisation face à la corruption de la part de l’ancien régime permettent d’expliquer le scepticisme et la méfiance des Tunisiens. Un rapport de la Banque mondiale décrit la corruption comme étant « asphyxiante » pour l’économie tunisienne.27 Sous l’ancien régime, les parents et alliés de l’ancien Président faisaient usage des banques de l’État et des réglementations pour amasser des fortunes. Sous le gouvernement actuel, les grandes banques publiques qui menaçaient de s’effondrer ont été recapitalisées dans l’urgence sans que beaucoup d’attention soit portée aux audits et aux enquêtes.
Dans un sondage de l’International Republican Institute datant de 2015, une pluralité de Tunisiens a indiqué que l’emploi doit être la première priorité de dépenses du gouvernement. Lorsque l’on demandait aux sondés comment faire avancer cette priorité, la réponse la plus courante était « en réduisant la corruption ».28 La Banque mondiale estime qu’en 2014 le coût de la corruption s’est élevé à 2 % du PIB en Tunisie et que « l’évasion des droits de douane, l’évasion fiscale et les abus en matière de passation de marché sapent la concurrence en favorisant les sociétés dotées des meilleures relations et ceux qui s’adonnent à des actes de corruption ».29 En effet, pour que des débouchés réellement inclusifs soient créés, pour qu’une concurrence solide puisse prendre de l’ampleur et pour que la confiance soit rétablie, la corruption devra être prise en compte. Les nouveaux mécanismes et programmes visant la reprise rapide de la croissance en Tunisie doivent être associés à des efforts redoublés de supervision et de responsabilisation afin de générer et conservés le soutien du public.
Partenariat entre la Tunisie et les partenaires internationaux dans le secteur de la sécurité
Alors que l’assistance économique traîne, les attentats terroristes ont galvanisé le gouvernement tunisien et la communauté internationale pour agir dans le domaine de l’assistance au secteur de la sécurité. Sans aucun doute, les réformes du secteur de la sécurité - qui vont au-delà de l’assistance et incluent la réorganisation du système, des changements de politiques et des mesures de lutte contre la corruption - sont toujours nécessaires pour que la Tunisie puisse jouir d’une sécurité pérenne. Ces réformes nécessiteront que la résistance venant du sein même du secteur de la sécurité soit surmontée.30 Néanmoins, les efforts d’assistance coordonnés dans le secteur de la sécurité fournissent de précieuses leçons pour la prise en charge des défis bureaucratiques dans tous les secteurs.
À la suite de l’attentat du 26 juin 2015 à Sousse qui a tué plus de 30 personnes, y compris des dizaines de vacanciers européens, la Tunisie a lancé un processus de coordination de l’assistance en matière de sécurité avec les pays du G7, ainsi que la Belgique, l’Espagne et l’Union européenne. Le processus, nommé « G7+3 », s’organise autour de trois volets : sécurité des frontières, infrastructure touristique, et lutte contre l’extrémisme violent. Un pays du G7 coordonne les efforts d’assistance pour chacun des volets. Les ambassadeurs et les conseillers de haut rang de ces pays se réunissent régulièrement sous la houlette de l’administration tunisienne, soit au niveau plénier, soit au niveau de groupes d’experts, avec des représentants de la Présidence et du cabinet du Premier ministre, pour partager des informations, comprendre les priorités tunisiennes et coordonner la stratégie d’aide étrangère.
Ces réunions régulières de tous acteurs-clés et le soutien aussi bien de la Présidence que du cabinet du Premier ministre ont permis à la Tunisie de surmonter la résistance bureaucratique envers une coordination et une planification interministérielle. Par exemple, le processus du « G7+3 » a identifié la nécessité d’une explication unifiée de la stratégie tunisienne en matière de sécurité et des priorités d’assistance. Contrairement à ce qui a été fait par le passé, le gouvernement tunisien a pu produire un document conjoint émanant du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Défense. En réaction à cette stratégie, les États-Unis et les pays d’Europe de l’Ouest procèdent à la mise à niveau du matériel, financent de nouvelles activités de formation et offrent une orientation en matière de planification stratégique, d’action conjointe et de coordination entre les forces. Bien que ces programmes ne fassent pas nécessairement avancer les réformes systémiques profondes, ils améliorent l’efficacité de l’armée et de la garde nationale de la Tunisie, qui ont participé à un certain nombre d’actions contre des groupes armés dans le pays et ont empêché un certain nombre de tentatives d’incursion, par exemple, en repoussant avec succès les attentats de Ben Guerdane en mars 2016.
Le processus du « G7+3 » a démontré le potentiel positif d’un engagement régulier, bien coordonné et dont les priorités sont claires entre la Tunisie et les acteurs internationaux pour pallier aux ralentissements bureaucratiques et prendre en charge les besoins urgents du pays. La fréquence des réunions régulières oblige les participants à suivre les progrès sur les engagements pris au sein de leurs propres bureaucraties. La participation de représentants de la Présidence et du cabinet du Premier ministre illustre la cohérence de l’exécutif. Il est temps d’appliquer une approche aussi structurée et dynamisée au développement de l’économie tunisienne, tout en tirant les leçons tirées des réussites et des difficultés de cette expérience récente dans le secteur de la sécurité.
Une nouvelle approche s’impose aujourd’hui : un Partenariat-cadre
Reconnaissant qu’elle a encore la possibilité de surmonter les menaces auxquelles elle fait face, la Tunisie et les acteurs internationaux qui la soutiennent doivent saisir l’occasion de créer un nouveau Partenariat-cadre avant que les défis ne deviennent incontrôlables. Ils doivent identifier les engagements essentiels en matière de réformes, de politiques, de procédures et d’assistance et mettre en place les mécanismes qui transformeront les engagements de tous les acteurs en réalités. Ensemble, la Tunisie, la communauté internationale, le secteur privé et la société civile peuvent faire en sorte que 2016 et 2017 soient des années charnières pour la Tunisie.
L’initiative d’un Partenariat-cadre pour la Tunisie repose sur une évaluation en trois volets :
- La situation économique, sociale et sécuritaire de la Tunisie est bien documentée et diverses recommandations ont fait l’objet de discussions.
- Les engagements internationaux en soutien à la transition de la Tunisie ne manquent pas et les instruments politiques et financiers disponibles sont bien adaptés à la situation.
- Toutefois, la situation se trouve dans une impasse, le gouvernement tunisien et les bailleurs de fonds internationaux se reprochant mutuellement un manque d’action décisive.
Le secteur de la sécurité est le seul à avoir recensé des progrès significatifs, certes incomplets, grâce à des formes de coopération innovantes.
Le Partenariat-cadre pour la Tunisie vise par conséquent une sortie de l’impasse actuelle par le biais d’une méthodologie innovante qui changera radicalement la manière dont le dialogue et les réformes prennent place entre les parties prenantes tunisiennes et la manière dont les parties prenantes tuni-
siennes et leurs partenaires internationaux poursuivent leur projet commun. Le Partenariat-cadre incitera les autorités tunisiennes à simplifier grandement le dispositif complexe d’élaboration de politiques qui est devenu un handicap considérable pour le progrès.
Pour dynamiser un nouveau partenariat, les bailleurs de fonds internatio-
naux doivent exprimer clairement leur soutien politique durable en continuant de s’impliquer à un niveau élevé avec les responsables démocratiquement élus, en encourageant la création immédiate d’emplois par un accès au marché plus généreux pour les secteurs qui nécessitent une main-d’œuvre abondante et en continuant à apporter une aide au développement et au budget au niveau macroéconomique. Les bailleurs de fonds doivent s’engager à financer sur plusieurs années les projets d’infrastructure et de développement, en s’assurant que l’assistance financière soit renouvelée au fur et à mesure qu’elle se transforme en routes, centrales électriques et centres de santé. Les efforts internationaux doivent également cibler le secteur privé tunisien en facilitant la mobilité, en offrant de l’aide aux investisseurs et en élargissant les programmes d’assistance technique, de formation et d’éducation. En gros, le pays doit bénéficier d’un engagement robuste et proportionnel aux conséquences stratégiques poten-tielles de sa réussite ou de son échec.
Vu son rôle essentiel dans le partenariat renouvelé, le gouvernement tunisien doit créer et autonomiser de nouveaux mécanismes alliant nouvelles procédures et nouveaux arrangements institutionnels pour coordonner l’assistance internationale et tirer le meilleur parti du soutien international pour permettre la création d’emplois et le développement, particulièrement dans les communautés marginalisées. Il doit également faire adopter et appliquer des réformes qui permettront aux investisseurs tunisiens et étrangers de prospérer.
Le secteur privé et la société civile du pays doivent être inclus dans la formulation des réformes et de nouveaux mécanismes rapides, avec le soutien de leurs homologues internationaux, afin de permettre d’assurer que ces arrangements prennent en compte leurs besoins actuels. Le secteur privé et la société civile peuvent s’assurer que les propositions du gouvernement sont ancrées dans la réalité plutôt que dans un optimisme irréaliste. Ils peuvent également identifier des étapes positives qu’ils sont disposés à suivre si et quand les gouvernements satisferont leurs engagements conformément au Partenariat-cadre.
Devant les tendances économiques et sécuritaires difficiles des cinq dernières années, les responsables tunisiens ont demandé à la communauté internationale d’en faire davantage et vice versa. La Tunisie a demandé davantage d’aide et d’investissement étrangers, alors que les bailleurs de fonds ont demandé que le gouvernement fasse davantage de progrès pour l’adoption et l’application des réformes. En effet, ces deux efforts sont nécessaires, mais pas suffisants pour assurer que la Tunisie trouve une voie pour sortir de la situation actuelle. Jusqu’à présent, une concentration sur l’établissement de priorités et sur les changements de procédures qui pourraient réduire ou éliminer les divers obstacles au progrès qui bloquent la voie à suivre de la Tunisie fait encore défaut.
Compte tenu des antécédents de frustration mutuelle, la Tunisie et ses partenaires internationaux devront agir de manière réciproque, faire preuve de sérieux, et s’encourager mutuellement à adopter davantage de mesures ambitieuses. Cela commencera par une approbation tunisienne et un soutien financier international à une coordination menée par la Tunisie et à des mécanismes rapides dès la seconde moitié de 2016.
Recommandations
La Tunisie et ses partenaires internationaux clés doivent lancer un nouveau Partenariat-cadre, sur la base d’engagements réciproques dans cinq domaines complémentaires.
Les partenaires internationaux clés de la Tunisie doivent contribuer au nouveau Partenariat-cadre comme suit :
- Soutien accru et intensifié à l’économie tunisienne, y compris par le biais d’un appui financier et d’accès au marché, et par la poursuite d’une assistance et d’un engagement solides dans le secteur de la sécurité en Tunisie.
Le gouvernement tunisien doit prendre la tête d’un nouveau Partenariat-cadre dans un certain nombre de domaines :
- Créer un « mécanisme G7+ » sur la base des leçons tirées du processus
« G7+3 » pour le secteur de la sécurité, afin de coordonner l’assistance internationale et d’en tirer pleinement parti. Le gouvernement tunisien doit prendre l’initiative dans les relations avec les bailleurs de fonds internationaux, avec les organisations de la sécurité civile et le secteur privé, lorsque nécessaire, afin de faciliter la transparence, la responsabilisation et le suivi chez toutes les parties.
- Sensibiliser le public par le moyen d’un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes, y compris les représentants de la société civile, les hommes et femmes d’affaires et les citoyens, sur les lois et politiques économiques, sociales et sécuritaires nouvelles ou sensibles.
- Renforcer les institutions et établir des priorités entre les réformes, y compris les réformes des administrations publiques, de l’investissement et des douanes, pour promouvoir une croissance économique inclusive, la création d’emplois et l’état de droit.
- Mettre en place un mécanisme rapide pour surmonter les obstacles et accélérer la mise en œuvre des projets économiques à forte priorité, particulièrement les projets de développement qui encouragent le développement économique et social et la création d’emplois.
Soutien intensifié de la part de la communauté internationale
Les possibilités d’amélioration de l’assistance internationale octroyée au cours des cinq dernières années ne manquent pas, de même que les possibilités d’identification de nouvelles méthodes de soutien dans divers domaines qui pourraient servir les objectifs tunisiens et contribuer à leur accomplissement.
Dans le domaine économique, une première action consiste à améliorer sensiblement les échanges commerciaux de produits agricoles et textiles tunisiens, ce qui est d’une importance primordiale pour la création d’emploi et la distribution des revenus. L’UE a adopté des mesures temporaires avec une augmentation de 60 % du quota d’huile d’olive pour 2016 et 2017 et elle devrait envisager de pérenniser ces mesures. Les efforts doivent se concentrer sur l’établissement de priorités entre les éléments de l’Accord de libre-échange complet et approfondi, particulièrement ceux qui permettent une création d’emplois rapide en Tunisie et une mobilité de la main d’œuvre entre la Tunisie et l’UE. De la même manière, il faut s’intéresser aux progrès vers un accord de libre-échange entre la Tunisie et les États-Unis, ainsi qu’aux mesures intérimaires qui pourraient, par exemple, mettre le secteur du textile tunisien sur un pied d’égalité avec son concurrent marocain sur le marché américain.
De même, un soutien financier accru est d’une importance primordiale, en particulier dans un avenir proche lorsque les réformes structurelles risquent d’avoir le plus d’effets négatifs au niveau social. Le cas de la Tunisie ne revêt pas des proportions énormes lorsqu’on le compare aux décisions récentes de l’UE concernant, entre autres, la Grèce et la Turquie. Un soutien financier ciblé accru pour la Tunisie contribuerait grandement à l’amélioration de la stabilité sociale et à la mise en place des bases d’un développement durable sur le long terme.
Dans le domaine de la sécurité, la coopération efficace lancée dans le cadre du « G7+3 » doit être poursuivie et élargie lorsque nécessaire, y compris avec un soutien financier et technique, mais tout en gardant à l’esprit le soutien aux réformes nécessaires. Beaucoup d’efforts sont actuellement en cours mais une approche sur le moyen et long terme est nécessaire pour faire en sorte que les progrès actuels dans le secteur de la sécurité soient pérennisés et pour encou-rager la Tunisie face à un environnement hautement imprévisible en Libye et dans la région au sens large.
Dans le domaine social, il est primordial que les autorités tunisiennes permettent des initiatives de développement dans lesquelles les citoyens font preuve d’engagement pour améliorer le dialogue politique, la protection de l’environnement ou l’innovation technologique, entre autres exemples. Le soutien international doit également porter sur ce type d’initiatives civiles, malgré les difficultés habituelles à canaliser des fonds des grandes organisations vers des micro-projets tout en conservant la flexibilité qui fait la valeur de ces initiatives.
Parmi les autres mesures pertinentes, on compte :
- Des accords « ciel ouvert » avec les États-Unis et l’Europe qui faciliteraient un service aérien efficient depuis et vers la Tunisie et qui se traduirait par la création de milliers d’emplois, ainsi que la mise à niveau des aéroports et la construction de nouvelles installations dans les villes touristiques clés, financées par des entités extérieures à la Tunisie en échange de la propriété de franchise aux aéroports.
- Le fait que la Tunisie doive faire l’objet d’un nouveau passage en revue par la Millennium Challenge Corporation (MCC), outil puissant de soutien d’une croissance économique inclusive. En 2016, la Tunisie était encore inéligible pour un compact de la MCC, bien que sa situation économique continue de se dégrader.
- L’actualisation avec la Tunisie des contrats de services et approvisionnement militaires étrangers pour les navires de l’UE et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Dans le domaine des opérations, services et équipement navals, cela pourrait inclure la création d’installations de services de réparations en cale sèche, le réapprovisionnement en vivres et en produits pétroliers. Cela pourrait présenter une forte opportunité de création d’emplois. Les petites entreprises pourraient bénéficier d’une attention favorable, y compris pour ce qui est de la formation dans ce nouveau domaine.
Mécanisme de coordination pour l’assistance internationale
Les réunions internationales de 2016, y compris le sommet du G7 qui se tiendra au Japon en mai, l’Assemblée générale de l’ONU à New York en septembre et une conférence prévue à l’automne sur les investissements internationaux en Tunisie, sont des plates-formes idéales pour le renouvellement des engagements politiques et économiques de la communauté internationale envers la Tunisie. Mais il sera tout aussi important que la Tunisie offre un ensemble de garanties réalistes et pragmatiques à ses partenaires et investisseurs internationaux en proposant un nouveau mécanisme de coordination de l’assistance qu’elle dirigera.
Au regard de la volonté de la communauté internationale d’augmenter et d’intensifier son soutien, la Tunisie doit répondre en faisant preuve de leadership en créant un mécanisme de coordination « G7+ » afin de transformer efficacement les engagements internationaux en action. Le nouveau mécanisme de coordination et de notification de l’assistance pourraient comprendre un secrétariat au personnel hautement qualifié qui ferait office de centre d’échanges d’information entre les ministères tunisiens et les États donateurs (et qui impliquerait la société civile et le secteur privé lorsque nécessaire), avec un secrétaire général tunisien à sa tête. Ses fonctions incluraient l’organisation de réunions en Tunisie, la publication de rapports de progrès réguliers sur les réformes et les engagements d’assistance, une évaluation du respect du calendrier, et l’offre de conseils et de soutien aux administrations publiques tunisiennes impliquées dans l’application des accords. Ce secrétariat et la publication de rapports pu-blics pourraient contribuer aux efforts visant une coordination de l’assistance économique plus efficace que par le passé.
Le mécanisme proposé constituerait une innovation considérable. Il encou-ragerait une responsabilisation mutuelle entre le gouvernement tunisien et ses partenaires internationaux. Il permettrait également aux bailleurs de fonds et aux représentants du gouvernement tunisien d’énoncer clairement les sources de leur frustration, de prendre acte des réponses de chacun et de passer en revue la situation lors de la réunion suivante.
Un nouveau mécanisme de coordination ne doit pas se substituer aux obligations statuaires qui s’appliquent à nombre de bailleurs de fonds selon leur cadre juridique spécifique. Mais en tant que centre d’échanges et outil de responsabilisation, il prendrait en compte plusieurs des difficultés rencontrées par les efforts antérieurs en donnant davantage de clarté à toutes les parties, en évitant les doublons d’efforts et en faisant correspondre les priorités tunisiennes aux points forts de chaque bailleur. Le Partenariat-cadre devra se concentrer sur un ensemble de priorités économiques, sociales et relatives à la gouvernance, en laissant l’assistance en matière de sécurité au processus « G7+3 » pour le moment.
Les clés de la réussite d’un mécanisme de coordination de l’assistance qui va au-delà du secteur de la sécurité sont claires :
• Leadership et engagement tunisiens
• Forum auquel les parties tunisiennes et internationales clés participent et au sein duquel elles partagent des informations
• Articulation des lignes de priorités
• Publication régulière de rapports de progrès visant la responsabilisation et la transparence pour la Tunisie, les partenaires internationaux, le Parlement, la société civile tunisienne, les groupes d’intérêt et le public
En outre, un mécanisme de coordination de l’assistance, faisant office
de dépositaire des engagements du gouvernement et publiant des rapports, offrirait la possibilité aux entités du secteur privé d’associer leurs plans et engagements aux benchmarks du gouvernement, en incitant une meilleure mise en œuvre.
Sensibilisation et dialogue avec les citoyens
Bien que des réformes de grande portée soient reconnues comme nécessaires dans les années à venir, les travaux du gouvernement tunisien se poursuivent dans le contexte d’une polémique publique. La conscience du fait que les textes de réforme sont susceptibles de susciter l’indignation et, potentiellement, des troubles au niveau de l’emploi, ralentit un processus législatif qui en soi prend beaucoup de temps.
L’introduction d’un projet de loi sur la réconciliation économique à l’automne 2015 a mis en évidence les carences d’un processus législatif sans engagement et dialogue publics. Le projet de loi, préparé en pleines spéculations, a été accueilli avec un mélange de déception et, pour certains, d’indignation, car il a été perçu comme une forme d’amnistie aux personnes qui avaient commis des crimes financiers sous l’ancien régime. Les manifestations et le tollé qui s’en sont suivis ont forcé le gouvernement à retirer le projet de loi, malgré d’autres dispositions importantes visant à réincorporer les financements de l’économie informelle dans l’économie formelle. Le gouvernement a promis de réviser le projet de loi et de le déposer à nouveau.
Au lieu de passer par la même procédure avec d’autres lois, le gouvernement doit envisager la possibilité de travailler avec les membres du Parlement et des groupes de la société civile afin d’organiser des assemblées et forums publics inclusifs pour discuter du contenu des projets et écouter les préoccupations des citoyens.
Par contraste avec les débats houleux des années passées lors de la rédaction de la Constitution, les tentatives de dialogues entre les partisans de divers partis politiques et les groupes de la société civile ont fréquemment dû être interrompues du fait d’affrontements possibles, de mouvements d’humeur et d’un sentiment de frustration face aux résultats des dialogues antérieurs. Les militants de la société civile se sont plaints que lors des sessions de consultation officielle les représentants du gouvernement ne prenaient pas de notes. Du fait des divergences politiques, les questions relatives au genre ont été mises de côté malgré leur importance primordiale.
Toutefois, depuis janvier 2011, des membres de la société civile tunisienne (y compris les organisations non gouvernementales, les cercles culturels, les jeunes entrepreneurs civils et les spécialistes des TIC) ont fait montre d’une capacité remarquable à renforcer les débats, à faire avancer les propositions et à faire preuve de créativité pour la détermination de l’avenir de la société. Cette capacité est un atout extraordinaire pour la Tunisie et doit être prise en compte. Davantage de sensibilisation et de dialogues publics inclusifs qui contribuent au processus de décision politique peuvent avoir deux résultats positifs qui dépassent de loin les coûts en temps et en efforts : l’échange réduira l’anxiété du public au cours du processus de rédaction des projets de loi et il renforcera les perspectives d’application des lois une fois adoptées. À terme, le processus de mise en relation entre les dialogues inclusifs et les résultats dans le contenu des réformes et les améliorations dans les communautés, particulièrement dans les régions marginalisées, contribuera à la restauration de la confiance entre le public et l’État.31 La communauté internationale et les groupes de la société civile internationale ont un important rôle à jouer pour continuer à renforcer le secteur de la société civile en Tunisie, en contribuant à l’autonomisation de ces acteurs dans le système tunisien.
L’un des accomplissements les plus importants de la révolution, à savoir la capacité à arriver à un consensus ou compromis de manière inclusive, doit être préservé et élargi sous la forme d’une plateforme permanente gouvernement-société civile. Le « Conseil national pour la gouvernance, le développement durable et les générations futures », actuellement en préparation, pourrait faire beaucoup pour répondre à ces besoins. Par le biais de ce conseil, les instances de l’État, les membres du Parlement et des partis politiques, les organisations des affaires, les syndicats, les organisations de la société civile et les cercles culturels pourraient soulever des questions locales et nationales importantes et en débattre. Il est essentiel, cependant, que le conseil soit conçu de manière à ne pas reproduire les joutes politiques du Parlement ni l’approche du haut vers le bas de l’État policier ancien.
Implication réelle des citoyens
Le secteur des technologies de l’information est depuis plusieurs années l’une des activités économiques qui connaît le développement le plus rapide en Tunisie, avec de nouvelles approches telles que des pépinières, des accélérateurs et des espaces de travail collaboratif. Une nouvelle tendance émerge désormais : de jeunes développeurs prenant des initiatives autonomes et créant, par exemple, des applications pour smartphones, dont certaines qui ont été reconnues au niveau international. Les réponses créatives du gouvernement ont permis à ces applications de trouver des créneaux spécifiques sur Internet et de générer un revenu pour des citoyens qui n’avaient même pas créé d’entreprise formelle.
Dans le domaine de l’éducation, les projets en cours d’examen tels que l’idée d’une tablette par enfant à l’école primaire pourraient, si tant est que le plan est préparé de manière prudente et géré convenablement, être le moyen par lequel les nouvelles générations de Tunisiens seront ancrées, dès le plus jeune âge, dans l’ère numérique en évolution rapide.
Des moyens numériques ont également été utilisés pour amener les citoyens à exercer leur responsabilité politique : des plateformes telles que OpenGovTN et Al Bawsala ont été créées avec pour but de renforcer la participation des citoyens à des processus de gouvernance positive et ont suscité une forte implication du public.
L’entreprenariat social est désormais un facteur important dans une Tunisie ouverte où les initiatives citoyennes abondent dans un contexte de technologies de l’information créatives. Certaines de ces initiatives ont reçu des distinctions internationales, comme par exemple Youth Decides.
La préservation de l’environnement est un défi considérable pour la Tunisie, particulièrement dans des moments où les réformes économiques et les contraintes budgétaires peuvent faire de l’environnement une préoccupation secondaire pour les autorités nationales et locales. Une attention toute particulière doit être prêtée aux initiatives citoyennes qui sont issues de travaux de bénévolat ou dans certains cas de parrainages d’entreprises. Le tri sélectif des ordures et les activités de recyclage peuvent mener à la sensibilisation, à la prise de conscience et à un revenu personnel pour les citoyens. Le même principe s’applique à la plantation d’arbres, qui est également génératrice de revenus et préserve les terres arides.
Les questions les plus importantes pour la redynamisation des débats publics sont les plus sensibles. Le gouvernement doit se joindre à la société civile pour lancer des dialogues publics sur les questions telles que la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la réforme de secteur de services de la sécurité, l’avenir de l’économie et l’avenir de la gouvernance décentralisée. Ces débats doivent s’accompagner d’une assistance technique internationale accrue pour les partis politiques tunisiens et le gouvernement afin de contribuer à la transformation des objectifs en solutions politiques.
Diverses initiatives pourraient encourager l’implication des citoyens, le dialogue et la sensibilisation :
- Quelques projets choisis avec attention doivent être lancés pour apporter des progrès visibles aux régions et populations les moins favorisées. Parmi les exemples, on peut citer l’introduction des technologies de l’information aux enfants du primaire ou encore des programmes nationaux de tri sélectif des ordures, de recyclage ou de plantation d’arbres. De tels projets pourraient apporter espoir et perspectives positives pour tous les citoyens.
- Des programmes civils et communautaires doivent être créés afin de former jusqu’à 1.000 Tunisiens diplômés de l’université par an pour un déploiement vers les régions sous-développées où ils travailleront sur des projets micro-économiques, techniques et de développement social. Ils seraient placés au sein d’institutions locales et régionales, de centres de recherche, de partenariats public-privé et de services de vulgarisation. Les partenaires étrangers et le secteur public et privé de divers pays doivent être invités à présenter des propositions qui seront passées en examen pour le cadrage de cet effort et l’apport de soutien.
Réformes institutionnelles et juridiques pour l’amélioration de la gouvernance et de l’administration publique
Parmi les réformes les plus importantes et les plus susceptibles de porter des fruits rapidement, le gouvernement tunisien envisage l’expansion des ressources et de la structure de soutien à la disposition du Parlement. Si de nouveaux membres des cabinets parlementaires dotés de nouvelles compétences ne sont pas embauchés pour renforcer ceux issus de l’ancien parlement, des processus ad hoc et inefficients resteront la norme. Une attention toute particulière doit être prêtée à la sélection, à la supervision, à la gestion des ressources humaines et aux arrangements de soutien logistique. En outre, sans ordinateurs et systèmes de technologies de l’information modernes, les débats législatifs ni les révisions continueront à dépendre de copies papier, ce qui accroît grandement le temps nécessaire pour faire circuler et approuver les nouvelles versions des projets de loi.
La Note d’orientation stratégique du gouvernement tunisien, finalisée et publiée le 8 septembre 2015 3232 identifie au moins dix-neuf réformes juridiques visant l’amélioration de la gouvernance, la simplification de l’administration, la promotion du secteur privé comme moteur de croissance, le renforcement de l’inclusion sociale, l’entrave à la corruption, l’encouragement de débouchés économiques et la consolidation des pratiques démocratiques ainsi que de l’État de droit. Même si le gouvernement tunisien stimule l’économie par le biais de mesures d’urgence, les réformes des administrations et du secteur de la sécurité seront nécessaires afin d’assurer que les progrès ne soient pas uniquement à court terme. À terme, dans l’état actuel des choses, l’économie tunisienne est trop entravée par la recherche de rentes de situation et par une administration rigide pour créer suffisamment d’emplois et répondre aux besoins de la société. De la même manière, échouer à transformer les missions de la police et des forces de sécurité d’un rôle de répression des citoyens vers un rôle de protection des citoyens continuerait à laisser le secteur de la sécurité vulnérable face à une exploitation par des acteurs corrompus et exacerberait la radicalisation de la population.
Malgré une coalition dotée d’une bonne majorité, depuis février 2015, le processus législatif a ralenti du fait d’un manque de ressources humaines et techniques ainsi que du fait de l’environnement politique et social. Compte tenu du temps limité et des contraintes des capacités du Parlement et des commissions ministérielles en charge de la rédaction des projets de loi, les Tunisiens de tous bords politiques plaident pour des réformes basées sur deux critères de base : le potentiel de résultats rapides en matière de création d’emploi ou de bénéfices sociaux, particulièrement dans les communautés marginalisées, et l’absence de coûts sociaux qui pourraient engendrer des troubles populaires et un rejet. Les réformes susceptibles de réussir sur ces points, tels qu’ils sont définis par les Tunisiens, doivent être identifiées comme des priorités à court terme pour le Partenariat-cadre proposé.
Plusieurs lois proposées sortent du lot du fait de leur capacité à encourager les investissements créateurs d’emplois et de leur faible susceptibilité à engendrer des crises politiques :
- Les organisations nationales et étrangères, aussi bien privées que publiques, voient le nouveau plan quinquennal, qui au 30 mars 2016, n’avait pas encore été finalisé par le gouvernement tunisien et pas encore porté devant le parlement, comme une feuille de route qui mènera vers une économie tunisienne plus forte. Le projet de loi a été soumis au Conseil des ministres en mars 2016 et devrait être présenté au Parlement en avril 2016. L’adoption par le gouvernement du plan dans la première moitié de 2016 avec les décrets d’application prêts à être promulgués constituera une déclaration clé d’intention pour les partenaires internationaux qui envisagent de lancer de nouveaux partenariats avec la Tunisie.
- La révision du Code de l’investissement sera un signe du fait que la Tunisie est ouverte à qui veut y investir. Bien que les investissements continuent à arriver en l’absence d’un code révisé, bon nombre de grands investisseurs l’attendent, de même que les gouvernements qui peuvent être leurs partenaires. Des structures nouvelles et simplifiées, des incitations au développement régional et des obstacles administratifs réduits pourraient profiter à l’économie dans les années à venir.3333 Les responsables des pouvoirs publics et les dirigeants du secteur privé indiquent que la loi sur le change, qui date de plusieurs dizaines d’années et qui empêche les Tunisiens d’avoir accès à des devises étrangères, est un obstacle considérable aux nouvelles activités économiques.
- La modernisation des douanes, comme tant d’autres réformes, prendra des années. Les efforts de plusieurs gouvernements postrévolutionnaires consistant à appliquer ces changements ont été accueillis avec une frustration considérable. Toutefois, le gouvernement a agi de manière à simplifier la structure des droits de douane et cherche à mettre en place un nouveau système d’information qui améliorerait l’application et faciliterait la concurrence loyale dans les échanges transfrontaliers.
- Bien que la loi sur les partenariats publics-privés ait été adoptée le 13 novembre 2015,3434 son application reste peu claire. L’éclaircissement est essentiel dans la mesure où les investisseurs s’intéressent aux arrangements contractuels et aux garanties associées à l’imposition, aux droits d’import/export, aux procédures douanières, à l’arbitrage et à d’autres éléments qui leur donnent le niveau de confort sans surprise qu’ils recherchent.
- Sans accès au crédit, micro ou autre, les start-ups, les coopératives et les investisseurs locaux restent entravés. Une loi déjà adoptée en août 2015 a conduit à la recapitalisation des banques publiques, bien qu’il reste du travail à faire sur la transparence et les réformes structurelles.35 Il est désormais temps d’agir sur les mécanismes de crédit qui encourageront l’innovation, la création d’emplois et l’entreprenariat. Une réforme de la faillite et l’élargissement de l’accès au microcrédit dans tous les gouvernorats de Tunisie pourraient produire des dividendes immédiats.
La réforme des administrations publiques se situe en haut de la liste des décisions cruciales et difficiles pour la Tunisie. Sachant qu’un tel changement prendra des années, des solutions qui pallient aux difficultés doivent être élaborées autant que faire se peut pour relancer rapidement l’économie, soutenir la mo-dernisation du secteur de la sécurité et tenir les promesses du gouvernement. Pour démarrer ce processus, un certain nombre d’idées sont étudiées par les personnes chargées de la planification au sein du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale et ailleurs au sein du gouvernement :
- le ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique a lancé des projets de démonstration qui rassemblent des responsables du public et du privé dans des formations professionnelles visant à numériser et moderniser de multiples secteurs. Il reste encore beaucoup de place au sein des administrations publiques pour davantage de connaissances et d’expertise, non seulement pour ce qui est du savoir-faire technique mais également des styles de management et de bonnes pratiques axées sur les résultats.
- La Note d’orientation stratégique du gouvernement souligne la possibilité du recrutement et de l’intégration de milliers d’experts externes, particulièrement des Tunisiens de la diaspora, au sein de la bureaucratie afin d’améliorer la réactivité et de prendre en compte la culture d’aversion au risque. On compte parmi les exemples un ambassadeur tunisien dans la Silicon Valley dont la mission est de faciliter et de présenter divers acteurs de la Silicon Valley aux responsables de l’État tunisien, aux acteurs du secteur privé, ainsi qu’à des initiatives publiques-privées visant l’incitation de l’investissement et la coopération en Tunisie.36
- En mars 2013, la Tunisie a créé sa première Instance générale pour le suivi des programmes publics.37 Sous divers gouvernements, son rôle a évolué pour passer d’une unité axée sur l’action à une unité chargée de la planification et de l’évaluation des politiques. Il faut envisager la possibilité d’avoir des unités de la sorte au sein de chacun des ministères. Elles se composeraient de responsables de haut rang et d’effectifs tout spécialement chargés d’identifier les obstacles bureaucratiques et de faire avancer des projets et programmes prioritaires rapidement.
Le but de tout effort doit être de réduire au minimum les procédures administratives, avec des administrateurs publics autonomisés qui peuvent faire avancer des projets pour faire correspondre les objectifs des investisseurs à des besoins publics et une nouvelle culture propice à l’innovation et à la prise de risques.
Un mécanisme rapide pour accélérer le développement
Il n’est pas exagéré de dire que la situation économique actuelle en Tunisie constitue une urgence nationale. Le chômage, le sous-emploi, les diplômés des universités qui ne trouvent pas de travail, les investisseurs locaux et étran-gers hésitants, une criminalité à la hausse et la criminalisation de l’économie, un déficit budgétaire en hausse et un déficit courant sont tant d’éléments qui contribuent à la méfiance qui règne entre le gouvernement et le peuple et qui est en soit une menace pour la sécurité nationale. La situation est susceptible d’empirer faute d’une action rapide pour faire avancer des projets qui réduiront les tensions et renforceront les institutions officielles.
Le Partenariat-cadre pour la Tunisie ne pourra être couronné de succès sans une approche nouvelle de la part du gouvernement tunisien en matière de mise en œuvre de programmes et projets de haute priorité. Dans tout le pays, les transports, l’eau, les soins de santé et d’autres développements d’infrastructures font l’objet d’une demande générale et sont hautement nécessaires. Une approche bien conçue qui combine des procédures nouvelles et simplifiées et des effectifs accrus et autonomisés pourrait se solder par des taux d’achèvement de projets plus élevés, montrer que le gouvernement tient ses engagements vitaux, contribuer au rétablissement de la confiance du public et commencer à soulager les pressions sociales qui s’accumulent du fait d’un manque persistant de services de base. Elle suscitera une tolérance publique pour les réformes qui donnent souvent des résultats sur le long terme. Le gouvernement tunisien s’est déjà engagé dans des projets de développement précédemment gelés à mi-parcours et envisage la possibilité d’un mécanisme rapide pour l’autorisation et l’achèvement accéléré de nouveaux projets de développement dans les régions les plus marginalisées.
Les responsables tunisiens et les observateurs de la société civile expliquent que la proposition de ce nouveau mécanisme pourrait être faite par décret, certains parlent même d’une loi d’urgence pour l’économie. Une commission ministérielle sur l’accélération des procédures, semblable à une réunion spéciale de certains ministres, pourrait être mise en place pour approuver les projets actuels et nouveaux dans des secteurs ou régions spécialement désignés, s’ils profitent à au moins un des gouvernorats les moins développés ou à des projets d’action locale, éligibles pour les procédures accélérées et une attention particulière. Un décret du Premier ministre pourrait mettre en place la structure, le barème des salaires, le régime de passation de marchés, les critères de sélection des effectifs et les mesures de supervision d’un potentiel nouveau secrétariat dont la mission serait de soutenir la commission ministérielle d’accélération et d’identifier, recommander et superviser la coordination et la mise en œuvre des projets d’infrastructures qualifiés pour l’accélération. Des responsables anciens et actuels ont recommandé que soient affectés à un tel secrétariat un mélange de fonctionnaires actuels et d’experts et consultants venus de l’extérieur représentant un éventail d’expertise, entre autres, en planification, financement de projets, gestion de projets, passation de marchés et supervision. Le personnel de ce secrétariat pourrait travailler avec les commissions d’accélération nouvellement mises en place au sein de chaque ministère pour identifier les projets qualifiés et prêts à être lancés ne présentant aucune défaillance juridique ou technique. Il pourrait également superviser leur mise en œuvre, œuvrer de manière à réduire les obstacles et à rendre davantage de projets prêts à être lancés et assurer la liaison avec les membres du Parlement, les commissions parlementaires pertinentes, la société civile et le secteur privé.
Les projets approuvés par la commission ministérielle d’accélération pourraient être soumis à des procédures de passation de marchés accélérées, bénéficier d’une garantie de paiement et être soutenus par des paiements de primes d’achèvement par le biais de la chaîne administrative, y compris au niveau municipal. Le financement pour la mise en place de ce mécanisme et pour la formation et le soutien pourrait provenir des partenaires internationaux. Le gouvernement tunisien devrait prêter une attention toute particulière à la sélection, à l’embauche, à la supervision et aux autres procédures afin d’établir la confiance avec le public et des relations constructives en son sein. Compte tenu du fait que les processus de passation de marchés actuels offrent déjà nombre de possibilités pour la corruption, des procédures accélérées pour la mise en œuvre de projets doivent faire l’objet d’une attention particulière en matière de supervision.
La mise en œuvre réussie d’un mécanisme rapide pour les projets d’infrastructure pourrait servir de modèle à d’autres mécanismes accélérés nécessaires, y compris ceux ciblant les décrets d’application de haute priorité ou les formations professionnelles sur la loi relative aux partenariats publics-privés et d’autres projets pour l’accélération du développement et de la création d’emplois dans les régions marginalisées.
Les projets d’infrastructure et de développement mis en œuvre dans le cadre du mécanisme accéléré pourraient contribuer à des initiatives stratégiques plus larges :
- Par exemple, des centres économiques d’excellence mis en place en Tunisie pour encourager la décentralisation, offrir des formations en compétences professionnelles utiles et transférables et générer des milliers de nouveaux emplois. La mise en œuvre de réformes économiques dans le pays tout entier paraît être une tâche insurmontable pour une démocratie inexpérimentée lourde d’un passé autoritaire. Des projets pilotes et de démonstration au niveau régional ainsi que des gouvernorats où les participants ont eu accès à un guichet unique d’interaction avec les personnes chargées de la réglementation, ainsi qu’a des arrangements de sécurité et d’autres formes de soutien ciblés sur des priorités économiques locales apporteront davantage d’efficience. En outre, chacune des réussites en entraînera davantage en encourageant la concurrence pour des résultats. Les centres pourront se concentrer sur un certain nombre de domaines économiques, y compris l’agro-industrie, les technologies de l’information, le tourisme médical et les services financiers.
- Une autre possibilité consiste à faire de la position géographique de la Tunisie un avantage en préparant le pays à être la principale base d’opérations de la reconstruction à venir de la Libye. Un bureau de l’État pourrait être mis en place pour faciliter la participation des sociétés tunisiennes et étrangères opérant en Tunisie dans les efforts de reconstruction à venir. Au fil des mois, la destruction en Libye laisse présager une demande croissante, à terme, pour la reconstruction. La Tunisie constitue un portail important pour ces efforts qui pourraient bien dépasser les 10 milliards USD. La planification de ces efforts doit commencer dès maintenant, depuis les ports d’entrée (maritimes et aériens) aux soutiens de services à Tunis pour les routes et les communications, en passant par la sécurité des contrôles aux frontières et des bases de soutien frontalier. Les aspects clés de ces efforts incluent des investissements de capitaux étrangers, des partenariats publics-privés pour les infrastructures et les services et le développement des régions frontalières et intérieures négligées.
Conclusion
Le succès à moyen et long terme de la Tunisie exige une plus grande équité sociale et entre les genres, tout autant que des débouchés économiques. La Tunisie de 2016 reste loin d’être en mesure de sortir davantage de familles de la pauvreté, de créer des centaines de milliers d’emplois et de susciter chez ses citoyens un nouvel espoir et un regain de confiance. Le pays fait face à un fort vent contraire du fait de l’instabilité dans la région au sens large. Ses responsables reconnaissent la nécessité de prendre en charge l’impatience de la population mais ressentent pleinement les défis auxquels ils sont confrontés pour ce faire.
Pour autant, les Tunisiens restent confiants qu’ils réussiront à atteindre la prospérité, la liberté et la dignité qu’ils souhaitent. Les parties prenantes tuni-siennes et leurs partenaires internationaux sont ouverts au changement. Les défis de la Tunisie, bien qu’importants et croissants, restent surmontables.
La Tunisie et la communauté internationale doivent saisir cette opportunité. En cherchant à aider le pays, les personnes venues de l’extérieur doivent non seulement prendre en compte les limites de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui mais également établir des partenariats actifs avec les responsables tunisiens, la société civile et le secteur privé pour repousser les limites de ce qui est possible. Un soutien international efficace pour la Tunisie est profondément dans l’intérêt du peuple tunisien et du monde. Les responsables de l’État, des communautés locales et du secteur privé devront agir avec urgence autant qu’avec patience pour réussir. Un nouveau Partenariat-cadre pourra les aider à réussir.
1 Institut national de la statistique, Tunisie, Indicateurs clés, mis à jour le 28 mars 2016, http://www.ins.nat.tn/indexen.php.
2 Heba Saleh, « Tunisia : After the Revolution » [La Tunisie : après la révolution], Financial Times, 10 mars 2016, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/4f215d9c-d402-11e5-829b-8564e7528e54.html#axzz43Nu2aPwx.
3 Center for Insights in Survey Research, « Public Opinion Survey of Tunisians: November 16 - November 25, 2015 » [Sondage de l’opinion publique tunisienne : du 16 au 25 novembre 2016 », International Republican Institute, 13 janvier 2016, http://www.iri.org/sites/default/files/wysiwyg/tunisia_poll_nov_2015_public_release_0.pdf.
4 Sauf indication autre, toutes les citations sont issues d’entretiens privés qui ont eu lieu en Tunisie entre novembre 2015 et mars 2016.
5 Banque mondiale, « Program Information Document (PID): Appraisal Stage » [Document d’information du projet (PID) : phase d’évaluation], 29 avril 2011, http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2011/05/30/000001843_20110601141936/Rendered/PDF/Tunisia0GO0DPL00Stage0PID000051211.pdf.
6 Banque mondiale, « Vue d’ensemble sur la Tunisie », dernière modification datant du 30 septembre 2015, http://www.banquemondiale.org/fr/country/tunisia/overview.
7 Elyes Zammit, « Tunisia Groaning Under Weight of Unemployment » [La Tunisie gémit sous le poids du chômage], Al-Monitor, 2 octobre 2015, http://www
.al-monitor.com/pulse/business/2015/09/tunisia-economy-unemployment-women-men-equality-study.html.
8 Organisation pour la coopération et le développement économiques, Investir dans la jeunesse en Tunisie : renforcer l’employabilité des jeunes pendant la transition vers une économie verte (Paris : OCDE, 2015) http://www.oecd.org/fr/social/investir-dans-la-jeunesse-en-tunisie-9789264228290-fr.htm.
9 « Slim Chaker: 2015 GDP Growth Only 0.2-0.3% » [Slim Chaker : la croissance du PIB pour 2015 entre 0,2 et 0,3 % seulement], Tunisia-tn (blog), 2 février 2016, http://tunisia-tn.com/slim-chaker-2015-gdp-growth-only-0-2-0-3/.
10 Forum économique mondial, The Global Gender Gap Report 2015 [Rapport sur l’écart entre les genres dans le monde pour 2015] (Genève : Forum économique mondial, 2015), http://www3.weforum.org/docs/GGGR2015/cover.pdf.
11 Il est possible d’évaluer que la Tunisie a eu plus de 180 ministres différents depuis 2011.
12 Cf. Georges Fahmi et Hamza Meddeb, « Market for Jihad: Radicalization in Tunisia » [Un marché pour le djihad : la radicalisation en Tunisie], Carnegie Endowment for International Peace, octobre 2015, http://carnegieendowment.org/files/CMEC_55_FahmiMeddeb_Tunisia_final_oct.pdf.
13 « Tunisia: 80% of Coastal Hotels Shut Down » [Tunisie : 80 % des hôtels du littoral ferment leurs portes], African Manager, 3 décembre 2015, 2015, http://africanmanager.com/site_eng/tunisia-80-of-coastal-hotels-shut-down/?v=7516fd43adaa.
14 Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation des mercenaires, « Preliminary Findings by the United Nations Working Group on the Use of Mercenaries on Its Official Visit to Tunisia – 1 to 8 July, 2015 » [Conclusions préliminaires du Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation des mercenaires lors de sa visite officielle en Tunisie du 1er au 8 juillet 2015], Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, consulté le 1er avril 2016, http://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16219&LangID=E; and Soufan Group, Foreign Fighters: An Updated Assessment of the Flow of Foreign Fighters Into Syria and Iraq [Une évaluation mise à jour du flux des combattants étrangers en Syrie et en Irak] (New York : Soufan Group, décembre 2015), http://soufangroup.com/wp-content/uploads/2015/12/TSG_ForeignFightersUpdate4.pdf.
15 Agence France-Presse, « Tunisia Blocks 12,000 From Joining Terror » [12 000 Tunisiens empêchés de faire le djihad], Arab News, 19 avril 2015, http://www.arabnews.com/middle-east/news/734496 ; et George Packer, « Exporting Jihad » [Exportation du djihadisme], New Yorker, 28 mars 2016, http://www.newyorker.com/magazine/2016/03/28/tunisia-and-the-fall-after-the-arab-spring.
16 Intissar Fakir et Dalia Ghanem-Yazbeck, « Running Low: Algeria’s Fiscal Challenges and Implications for Stability,” » [Épuisement : les défis budgétaires de l’Algérie et les implications pour la stabilité], Carnegie Endowment for International Peace, 11 février 2016, http://carnegie-mec.org/2016/02/11/running-low-algeria-s-fiscal-challenges-and-implications-for-stability/itu8.
17 Le terme de « mécanisme » est utilisé ici pour faire référence à un certain ensemble de pratiques, procédures et institutions.
18 Sebastian Moffett, Nathalie Boschat et William Horobin, « G-8 Pledges $40 Billion for ‘Arab Spring’ » [Le G8 promet 40 milliards USD pour le « printemps arabe »], Wall Street Journal, 28 mai 2011, http://www.wsj.com/articles/SB10001424052702304520804576348792147454956.
19 Confirmé lors d’un entretien privé en janvier 2016 ; cf. également : la Présidence de la République tunisienne, « Al-liqa al-sahafi al-mushtarik li rais al-jumhuriya wa rais al-maniya al-fedralia » [point presse conjoint du Président de la République tunisienne et du Président de la République fédérale d’Allemagne], vidéo Facebook, 9:55, 27 avril 2015, https://www.facebook.com/Presidence.tn/videos/888782481179810/.
20 Tarek Amara, « World Bank Plans to Lend Tunisia $5 Bln Over Five Years » [La Banque mondiale prévoit de prêter 5 milliards USD à la Tunisie sur une période de cinq ans], Reuters, 25 mars 2016, http://af.reuters.com/article/idAFKCN0WR10R.
21 Monica Marks, « Tunisia: Completing the Transition » [Tunisie : l’achèvement de la transition], dans Five Years On: A New European Agenda for North Africa [Cinq ans après, un nouvel agenda européen pour l’Afrique du nord], publié sous la direction d’Anthony Dworkin (Londres, European Council on Foreign Relations, 2016), http://www.ecfr.eu/page/-/FIVE_YEARS_ON_-_A_NEW_EUROPEAN_AGENDA_FOR_NORTH_AFRICA_-_ECFR-159.pdf.
22 « Dying to Work for the Government » [Mourir d’envie d’être fonctionnaire], Economist, 30 janvier 2016, http://www.economist.com/news/middle-east-and-africa/21689616-unemployment-undermining-tunisias-transition-dying-work-government. Lors d’une audition à l’Assemblée des représentants du peuple tenue le 27 mai 2015, Ahmed Zarrouk, Secrétaire général du gouvernement tunisien, a indiqué que le pays comptait 630 000 fonctionnaires. Ce chiffre est supérieur à celui du Maroc (450 000 fonctionnaires), alors que la population de la Tunisie ne représente qu’un tiers de celle du Maroc. Cf. Adhadhi Nidhal, « Ahmed Zarrouk : Nous comptons plus de fonctionnaires qu’au Maroc », http://www.realites.com.tn/2015/05/ahmed-zarrouk-nous-avons-un-nombre-de-fonctionnaires-publics-plus-eleve-quau-maroc/.
23 Ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, « Projet du Nouveau Code d’Investissement », 25 mai 2015, http://tunesien.ahk.de/fileadmin/ahk_tunesien/04_PR_Service/NL_2015/06_2015/20152705-Code_d_investissement-FR-V0.8.pdf.
24 « Grand Tunis : 10 milliards de dinars de projets bloqués », Kapitalis, 8 octobre 2015, http://kapitalis.com/tunisie/2015/10/08/grand-tunis-10-milliards-de-dinars-de-projets-bloques/.
25 Cheima Ben Hmida, « Tunisie : Les 10 mesures d’urgence annoncées par Habib Essid », Huffington Post Maghreb, 29 janvier 2016, http://www.huffpostmaghreb.com/2016/01/29/mersure-durgences-habib-essid_n_9109014.html?utm_hp_ref=tunisie.
26 Maha Yahya, « Great Expectations in Tunisia » [Grandes attentes en Tunisie], Carnegie Endowment for International Peace, mars 2016, http://carnegieendowment.org/files/CMEC_60_Yahya_Tunisia_Final.pdf. Yahya indique que « la jeune génération de Tunisiens cherche des manières de s’exprimer sur le plan politique tout en évitant activement de le faire par le biais des instruments institutionnels, y compris les parties politiques traditionnels et les associations de la société civile ».
27 Bob Rijkers, Antonio Nucifora et Caroline Freund, « ‘All in the Family, State Capture in Tunisia’: Questions and Answers » [Capitalisme de copinage en Tunisie : Questions - réponses], Banque mondiale, 3 avril 2014, http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/04/03/all-in-the-family-state-capture-in-tunisia-question-and-answers.
28 Center for Insights in Survey Research, « Public Opinion Survey of Tunisians » [Sondage de l’opinion publique tunisienne].
29 Banque mondiale, « The Unfinished Revolution: Bringing Opportunity, Good Jobs and Greater Wealth to All Tunisians » [La Révolution inachevée : Créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens], Washington, DC : Banque mondiale, 2014), http://www.banquemondiale.org/content/dam/Worldbank/document/MNA/tunisia_report/tunisia_report_the_unfinished_revolution_fre_synthesis.pdf.
30 Yezid Sayigh, « Dilemmas of Reform: Policing in Arab Transitions » [Dilemmes de la réforme : la police dans les transitions arabes », Carnegie Endowment for International Peace, Mars 2016, http://carnegieendowment.org/files/CEIP_CMEC61_Sayigh_Final.pdf. Sayigh a indiqué : « Le secteur de la sécurité en Tunisie a déployé un discours de lutte contre le terrorisme pour justifier sa résistance face non seulement à la réforme et à la restructuration mais également à la supervision de l’État ».
31 Maha Yahya, « Great Expectations in Tunisia » [Grandes espérances en Tunisie]. Maha Yahya écrit : « les élites politiques tunisiennes doivent rétablir les liens de confiance entre les citoyens et leur État, renforcer les institutions démocratiques et faire respecter les principes d’équité et de justice sociale tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution ».
32 Ministère tunisien du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, « Synthèse de la Note d’Orientation du Plan Stratégique de Développement 2016–2020 », Nawaat, 8 septembre 2015, http://nawaat.org/portail/wp-content/uploads/2015/10/Presentation_Note_Orientation_-FR_VF.pdf.
33 Ministère des Finances, « Aperçu général sur la Fiscalité », République de Tunisie, http://www.finances.gov.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=75&Itemid=258&lang=fr ; et Imen Zine, « Tunisie : 19 réformes prévues par la nouveau Code de l’investissement », L’Économiste Maghrebin, 8 juin 2015, http://www.leconomistemaghrebin.com/2015/06/08/tunisie-19-reformes-prevues-par-le-nouveau-code-dinvestissement/.
34 Présidence de la République de Tunisie, « Projet de loi no. 69/2012 relatif aux contrats de partenariat public-privé (PPP) », Marsad Majles, consulté le 31 mars 2016, http://majles.marsad.tn/2014/fr/lois/55673f5912bdaa4738fc565b/texte.
35 Nizar Manek, « Tunisia’s Flawed Bank Bailout » [Le plan de sauvetage imparfait des banques en Tunisie], Foreign Affairs, 18 octobre 2015, https://www.foreignaffairs.com/articles/tunisia/2015-10-18/tunisias-flawed-bank-bailout.
36 « Noômane Fehri fait le bilan de sa visite à la Silicon Valley », Business News (Tunisie), 25 février 2016, http://www.businessnews.com.tn/impression/534/62707/.
37 Présidence de la République tunisienne, « Décret no 2013-1333 du 12 mars 2013, relatif à la création de l’Instance générale pour le suivi des programmes publics », DCAF Trust Fund for North Africa, 15 mars 2013, http://www.legislation-securite.tn/fr/node/32814.